17 juillet 2013

"Landru, 6h10, temps clair" : faites entrer l'accusé au musée

Landru, ses petites annonces, son poèle et les corps de ses victimes jamais retrouvés. On croit tout connaître sur l'affaire, mais on a tort. Ou si on a raison, on prend malgré tout un plaisir immense à se (re)plonger dans l'affaire. A voir au musée des lettres et manuscrits.


Un tableau d'enquête, comme dans les films. Onze noms inscrits en noir et soulignés de rouge. Dix femmes et un jeune homme de 18 ans. Tous disparus après avoir croisé la route de Landru. Des colonnes tracées à la règle. Et ces cases - nom, date de la disparition, origine de la rencontre - remplies d'une fine écriture.
Comme dans les films, on vous dit. Sauf qu'il s'agit d'une affaire bien réelle. Donc d'autant plus passionnante. Jusqu'à imaginer les inspecteurs se gratter la tête devant ce tableau, cherchant la faille, la trace laissée par l'assassin, l'erreur... Assurément le document le plus fort de tous ceux exposés au musée des lettres et manuscrits.

283 femmes contactées

"Landru, 6h10, temps clair". Un titre merveilleux, tiré du carnet du bourreau, chargé de l'exécution, pour une exposition qui l'est tout autant (mais au féminin, alors, c'est-à-dire merveilleuse). Et un musée qui, décidément, après "Verlaine emprisonné", concrétise son talent pour mettre en scène des éléments qui, de prime abord, n'ont pas grand-chose pour eux.
Le tableau d'enquête.
Comme dans les films.
Un musée à lire, comme son nom l'indique. Avec des pièces exposées qui, à l'inverse de l'ordinaire, sont là pour appuyer le texte et non le suppléer. C'est pourtant diablement intéressant de voir les documents d'archives, tirés de l'enquête, coupures de journaux ou cartes aux différents noms de Landru - plus de 90 pseudonymes utilisés.
Et puisqu'on en est aux chiffres... Onze victimes, donc, entre 1914 et 1919, mais la bagatelle de 283 femmes entrées en contact avec Landru. Le même mode opératoire le plus souvent. Des annonces dans la presse de l'époque. Landru, grand séducteur, qui promet à des veuves éplorées "une tendresse de tous les instants".

Un escroc à la petite semaine

L'histoire d'un petit escroc devenu l'un des pires meurtriers de France - des plus connus en tous cas. Un brin instable, le garçon. Entre 1893 (il a 24 ans) et 1900, il exerce une dizaine de métiers, et change d'emploi une quinzaine de fois. Il fait quatre enfants à sa femme, aussi, mais c'est une autre histoire. Surtout, dans un siècle où tout est possible, mais pas pour tout le monde, il cherche à faire fortune. Une ambition contrariée.
Landru, durant son procès.
Une première escroquerie en 1900 pour tenter le diable, quand même. Landru crée une manufacture de bicyclettes à pétrole. Paiement obligatoire avant livraison. Il disparaît avec l'argent de ses clients. Mais pas bien loin. Première condamnation en 1902, puis en 1904, 1906, et encore en 1910. La prochaine fois qu'il se fera pincer, ce sera le bagne de Cayenne, il le sait et n'a donc plus rien à perdre.

La guerre se termine trop tôt

La guerre lui offre une opportunité merveilleuse. Un pays désorganisé, plus grand-chose de normal et des préoccupations bien plus importantes que de s'inquiéter de quelques femmes qui disparaissent. Jeanne Cuchet sera la première. Landru la rencontre en février 1914 dans les jardins du Luxembourg. Elle disparaîtra avec son fils au tout début de 1915. Neuf autres suivront et, voyant la guerre doucement se terminer, Landru aura cette phrase, d'un cynisme fou: "Cela se termine trop tôt"...
Car dès que la police retrouve un semblant d'organisation, sa chute est rapide, en effet. Landru est arrêté le 12 avril 1919, chez lui, au 76, rue Rochechouart, à Paris. Une enquête modèle, menée par un certain Belin. De la race des crack(er)s, Belin! Moins de dix jours pour arriver à Landru.
Petit annonce type.

Lucien Guillet, 76, rue Rochechouart

Marie Lacoste, soeur de l'une des disparues, inquiète de ne plus avoir de nouvelles, a contacté la police. Elle a quelques bribes d'informations à donner aux inspecteurs: le dernier domicile connu est à Gambais, en région parisienne. Sa soeur vivait auprès d'un certain M. Frémyet. Une amie a même une description à donner. La même amie qui va permettre à l'enquête de s'emballer. Elle reconnaît l'homme dans un magasin de porcelaine, rue de Rivoli. La police n'a plus qu'à remonter la piste. L'homme a acheté un service de table. Il a laissé une carte, pour la livraison. Lucien  Guillet, 76, rue Rochecouart. Il n'y a qu'à l'y cueillir.

Landru n'a pas tourné la tête

Le procès s'ouvre le 7 novembre 1921. Et tourne bien sûr autour de la question de l'absence de corps. Avec, parmi quelques saillies restées célèbres, cette sublime tentative de l'avocat de la défense : "Regardez, dit-il, regardez! Elles sont là, dans l'antichambre du prétoire, elles attendent pour entrer, les prétendues victimes de Landru". Tous les regards se tournent instinctivement vers la porte que l'avocat montre. "Vous voyez, reprend-il, fier de son effet. Le doute est permis."
Onze noms. Dix femmes, un jeune homme.
Jolie mécanique. Mais visiblement pas suffisamment bien préparée. L'avocat général détecte la faille dans l'instant: "Landru n'a pas tourné la tête, lui". Fermez le ban. Condamnation à mort, et exécution le 25 février 1922, un samedi, par temps clair, 6h10...

Landru, 6h10, temps clair
Musée de lettres et manuscrits
222, boulevard Saint-Germain
75007 Paris
Jusqu'au 15 septembre 2013






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