Le
cinéma, c’est censé être visuel, non ? Pas pour la Mairie de Paris qui,
avec « Paris vu par Hollywood », invente l’expo qui se lit et ne se
vit pas. D’autant plus dommageable que l’on s’attend, justement, à quelque
chose de très concret. Oh ! il y a bien des extraits vidéos de films en
accès libre, mais on peine à y voir un rapport avec le sujet. Même chose avec
les nombreuses planches de story-board et autres dessins préparatoires mis en
vitrines : tirés de Midnight in Paris, certes, mais alors ? Et les
robes d’Audrey Hepburn exposées ? Créées par le très parisien Givenchy,
ok, mais après ? En quoi cela renseigne-t-il sur ce si pourtant alléchant
« Paris vu par Hollywood » ? En rien, vous l’aurez compris. Ce
qui vous évitera de trop perdre votre temps, en poireautant devant l’Hôtel de
Ville.
Paris ? Du
crottin et des catins…
Les
vacheries initiales étant dites, on peut tout de même s’amuser un peu avec
cette expo. Mais à condition, alors, de passer son temps penché sur les
panneaux explicatifs qui, reconnaissons-le, éclairent – un peu – sur ces jolis
clichés hollywoodiens envers la Ville Lumière (ben tant qu’à faire dans le
cliché, allons-y gaiement).
On
commence joliment avec Lubitsch qui, tout sauf con, résumait parfaitement la
situation, dès les années 1920 : « Il y a
le Paris Paramount, le Paris MGM et le Paris en France. Le Paris Paramount est
le plus parisien de tous ». Le bon Ernst savait ce qu’il disait, lui qui
situa douze de ses films à Paris, sans jamais y tourner la moindre scène.
Paris, vu des studios américains, c’est d’abord ces cafés typiques, aux terrasses ombragées. C’est aussi de petites places
étriquées, des rues pavées et, soyons fous, des cochers et des chevaux. Paris,
c’est donc du crottin ! Et des catins aussi… Ah ! les Parisiennes !!
De jolies femmes en goguette, à la cuisse légère, en costume de cancan… Voilà
pour les généralités, qui ont parfois la vie dure, encore…
L’intérêt suprême de l’expo réside surtout dans les évolutions de
ces clichés, telles qu’elles sont montrées. Sous influence des romans du XIXème
siècle, ceux de Dumas ou de Hugo, les Ricains du cinéma muet voient Paris comme
une ville d’Histoire, propre à accueillir des films de cape et d’épée. Notre-Dame,
les petites rues moyenâgeuses sont en vogue. Le tout reconstitué depuis les
States : on est dans les années 1900-1910 et Lindbergh n’a pas encore
traversé l’Atlantique en avion… C’est donc très largement folklorique et
artificiel, pas follement respectueux des échelles.
Des
décors en carton-pâte dans lesquels piocher
Une décennie plus tard, Paris se mue en ville frivole et
décadente, pleine de « femmes fatales, d’alcools, de jeux et de fêtes ».
La faute non pas tant à la réputation des Français qu’à l’état de frustration
de ces pauvres amerloques, plombés par la lourdeur morale des ligues de vertus.
A défaut de pouvoir librement s’épanouir, les voilà qui rejettent leurs
fantasmes sur Paris, loin, très loin de l’autre côté de l’océan. Deux films, je
cite l’expo, reflètent particulièrement cet état d’esprit : Absinthe, de
Herbert Brenon, en 1913, et A Parisian Scandal, de George Cox, en 1921. C’est
alors très simple : vous êtes scénariste et vous voulez mettre en scène un
libertinage ? Pouf, Paris est là pour ça. Pratique et pas cher.
C’est ainsi que se met en place l’image de la parisienne
légèrement délurée, vaguement salope. Kiss me Again, en 1931, film de WilliamSeiter (qui n’est pas Anglais comme son nom pourrait le laisser supposer)
(setter anglais, c’est hilarant, vraiment hilarant, je sais) est l’archétype de
cette vision délicieuse de la femme (c’est ironique, je préfère préciser) :
fantasme sur pattes, la parisienne vit dans une coupe de champagne, dont les
bulles sont autant d’amants. Les Années Folles ne sont pas loin après tout… « Paris
est tellement à la mode que la MGM dispose de décors en durs de Paris, censés
figurer toutes les époques possibles. » Y a qu’à piocher dedans pour créer
son Paris rêvé, en somme.
Woody
Allen pour perpétuer l’illusion que Paris sera toujours Paris
Vincente Minelli, toujours d’après les panneaux de l’expo
(je ne fais que répéter, mon savoir est tout neuf), est a priori le premier à quitter
ces confortables décors en carton-pâte pour venir directement sur place :
il y tourne Gigi, avec Leslie Caron, en 1957. Sauf que le petit rigolo se met
en tête non pas de filmer le vrai Paris d’après-guerre, mais celui de… 1900.
Comme si ce n’était pas déjà suffisamment compliqué comme ça, le voilà, entre
Concorde et Tuileries, à vouloir reconstituer, in
situ, le Paris début de siècle : on en revient aux chevaux et au
crottin… Indécrottables Ricains, on vous dit…
A sa suite, et un poil plus pragmatiques, d’autres
réalisateurs viennent eux aussi filmer Paris… mais tel qu’il est cette fois. Ce
qui n’exclut pas les clichés malgré tout. Si les décors sont naturels, le
reste, lui, l’est moins : Doisneau est passé par là et Paris, forcément,
c’est le gamin de Paris, mâtiné d’un zeste de Gavroche. Béret de rigueur et
genoux cagneux. Fred Astaire, danses avec Tour Eiffel en arrière plan et
danseuses du Moulin Rouge en prime.
Plus récemment ? Ben, plus récemment, c’est guère
intéressant… Le prestige parisien s’émousse, et il ne reste guère qu’un WoodyAllen pour en perpétuer l’illusion. Paris sera peut-être toujours Paris, mais
en moins bien alors : l’expo cite Rush Hour 3 et le Da Vinci Code, c’est
dire si l’aura de la ville est tombé bien bas.
Paris vu par Hollywood
Hôtel de Ville
5, rue Lobau
Jusqu’au 15 décembre 2012
Tous les jours sauf dimanches et jours fériés, de 10h à 19h
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