18 septembre 2012

« Hôtels Garnis, garçons de joie » : la prostitution masculine dans les Paris des années 1900

Plus qu’une exposition, un livre. Un travail de fourmi mené par Nicole Canet : 376 pages, 335 illustrations et photos, le plus souvent inédites. A ne pas mettre entre toutes les mains car, autant le dire tout de suite, ça s’encule et ça se suce gaiement dans ces pages. Logique au vu du sujet : la prostitution masculine.
C’est ce thème qui m’a d’abord attiré… On parle beaucoup de la prostitution féminine, mais très rarement de celle des hommes. Elle existe pourtant et, comme l’autre, elle n’est pas loin d’être aussi le plus vieux métier du monde. Je trouvais l’idée d’une exposition sur ce thème réjouissante. En plus de l’amour tarifé, on touche là à un autre des grands tabous de la société : l’homosexualité. Comment diable cela se vivait-il au milieu du XIXème siècle à Paris ? Et au début du XXème ?

Quand Marcel Proust se faisait poisser au bordel

Las, si le livre répond en partie à ces questions, avec de petits textes aidant à la mise en perspective du sujet, ce n’est pas le cas de l’exposition. Oh ! qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit ! Ce n’est pas tant une faute de conception de l’expo qu’un problème de manque de place.
La galerie Au Bonheur du Jour est toute petite, coincée à l’angle des rues Chabanais et Chérubin. Elle n’en est que plus charmante, avec les tenanciers qui viennent vous ouvrir la porte, quand vous sonnez, et vous la tenir, quand vous partez (on parle bien toujours de la porte) (oui, j’en suis déjà à ma troisième allusion sexuelle lourdingue – si, si, comptez bien - et oui, je trouve ça un peu facile, mais non, je ne peux pas m’en empêcher)…
Bref, c’est petit, et cela empêche l’exhaustivité.
Qu’on ne vienne donc pas ici chercher à apprendre l’histoire de la prostitution masculine ; ni même à la comprendre. Pas d’études sociologiques, ni de portraits pour mieux connaître ces « garçons de joie » : comment ils en venaient à se prostituer, et dans quelles conditions cela se passait ? Même chose avec les clients : on devine leurs motivations, bien sûr, mais on ne sait pas grand-chose d’eux.
A part quand il s’agit de Proust, évidemment. L’homme a fait l’objet d’un gentilcontrôle de police, dans la nuit du 11 au 12 janvier 1918, tandis qu’il se trouvait dans l’un des bordels les plus en vue de Paris : l’Hôtel Marigny. Oh ! le bon Marcel ne faisait que boire un peu de champagne avec quelques jolis militaires en permission mais, à l’étage, d’autres vaquaient à des occupations bien plus sérieuses. Et voilà donc le citoyen « Proust, Marcel, 46 ans, rentier, 102 boulevard Haussmann » fiché par la police. La galerie dispose du procès-verbal, écrit en caractères d’imprimerie. Une tranche de vie assez « sympathique » (guillemets de rigueur, car les gars qui se sont fait poisser à cette occasion ont dû moins rire, eux !).

Le porno gay avant Internet

Dans un tout autre genre, permettant de toucher du doigt le sujet, on peut aussi voir quelques planches pornographiques. Celles-ci ornaient les bordels que l’on n’appelait pas encore « gay ». Elles étaient destinées à émoustiller l’aimable clientèle. D’où il ressort des mœurs étranges, parfois… Comme cette série où un jeune homme en soutane, « tbm » visiblement, apprend les choses de la vie à p’tit séminariste en aube blanche. Je dis bien séminariste, et pas enfant de chœur, car le petit jeune en question, il n’a pas dix ans non plus ! On parle bien de prostitution et d’imageries homosexuelles, pas de pédophilie. A quasi un siècle d’intervalle, cela prête à sourire. Pas tant la mise en scène que la nécessité de passer par la photographie. C’est intéressant, et même assez touchant de voir comment on « s’excitait » à l’époque, avant l’avènement d’Internet.
Après, évidemment, ces quelques informations demeurent largement parcellaires. Cela manque de vécu et de mise en contexte. On aimerait en savoir plus sur le business de la prostitution masculine, son histoire et ses soubresauts. Les aspects légaux, la concurrence entre bordels « gay », les descentes de police et ce que risquaient les uns et les autres quand ils se faisaient choper. L’évolution des mœurs, aussi. L’arrivée du Sida, pourquoi pas…
Ce sujet mériterait une rétrospective plus complète, avec archives littéraires, picturales et photographiques. La vie d’Albert Le Cuziat, propriétaire du fameux Hôtel Marigny, mériterait à elle seule que quelqu’un, dans un musée quelconque, s’attarde sur son cas. Encore une fois, ce n’est pas un reproche fait à la galerie Au Bonheur du Jour : son but n’était pas celui-là. En revanche, avec le fonds d’archives rassemblées dans le livre présenté par Nicole Canet, on a déjà, me semble-t-il, une bonne base de travail. Avis aux commissaires d’exposition amateurs…

Hôtels Garnis
Garçons de joie
Prostitution masculine, lieux et fantasmes à Paris, de 1860 à 1960
Galerie Au Bonheur du Jour
11, rue Chabanais, Paris 2ème
Jusqu’au 27 octobre 2012
Ouvert du mardi au samedi, 14h30-19h30

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