19 mai 2012

"Moonrise Kingdom": retour béni au temps de l'enfance

Evidemment, cela joue avec la fibre nostalgique. Celle de l'insouciance de l'enfance, ce temps béni où tout semblait simple. Où tout l'était, en réalité, car rien ne prêtait vraiment à conséquence. Un peu facile diront certains. Sauf que, justement, Wes Anderson ne tombe pas dans la facilité. Bien plus qu'une ode à l'enfance, Moonrise Kingdom est une histoire d'amour et d'amitiés. Des sentiments purs, empreints d'idéalisme romantique. Des enfants qui agissent sans calcul, avec cette candeur qui fait leur force. Ces décisions sur un coup de tête que l'on prend et mène jusqu'à leur terme, sans jamais dévier quand, adultes, on se met à les ruminer, pesant gentiment le pour et le contre, avant de décider que non, décidement non, ce ne serait pas raisonnable. Mais qu'est-ce que la raison si elle empêche d'être heureux, libre, en accord avec soi-même?
Il y a quelque chose de Salinger dans Moonrise Kingdom. En même temps, dès que l'on touche à l'enfance, au choc, douloureux - forcément douloureux-, de la rencontre avec le monde des adultes, on pense à L'Attrape-coeurs. Le scénario n'en a pourtant pas la noirceur. Il est tout de légèreté et de tendresse cousu, drapé de drôlerie et de dialogues d'une grande finesse... Sam aime Suzy, qui aime Sam. Ils ont douze ans, et sont bien décidés à vivre leur amour sans se soucier de ce que peuvent bien en penser les autres. Lesquels autres, on s'en doute, voient tout cela d'un fort mauvais oeil. Les deux enfants fuient: Sam son camp de scout, Suzy sa maison de bord de mer et sa famille un peu foldingue, menée par un Bill Murray des grands jours. Sam, binoclard orphelin, est le cerveau de l'évasion quand Suzy, jeune fille rêveuse, se laisse gentiment entraîner - c'est la seule concession faite par Wes Anderson aux conventions. Le reste n'est que poésie et friandise acidulée, renvoyant les adultes que nous sommes au souvenir de ce paradis à jamais perdu qu'est l'enfance.
Pour filmer cet âge d'or en voie de dissipation, Wes Anderson explique s'être largement inspiré de Truffaut - il y a pire comme influence - et de son film L'argent de poche. Le pitch, il est vrai, est assez similaire. N'ayant pas la culture cinématographique du bon Wes, j'y ai vu, moi, quelques similitudes avec Amélie Poulain: dans la manière de filmer, les décors, un peu kitsch et hors du temps, la lumière, légèrement surexposée. Même, soyons fous, avec La guerre des boutons - mais version Petit Gibus alors, 1961, Yves Robert - par la grâce d'enfants qui endossent le rôle d'adultes, mais sans rien perdre de leur idéalisme.
Quant aux adultes... Entre un Edward Norton, chef scout gentiment dépassé, et un Bruce Willis, policier tristounet, solitaire par défaut, ils font ce qu'ils peuvent, les adultes... C'est leur mission, finalement, que de venir contrarier la quête d'idéal de Sam et Suzy. Les deux amoureux ont beau avoir tout prévu - nourriture, boussole, tente, livres et tourne-disque (Françoise Hardy, Le temps de l'amour en bande son) - leur aventure est vouée à l'échec. La tempête du siècle approche de l'île de la Nouvelle-Angleterre où ils se terrent, il faut les retrouver. Mais Sam, parfait Castor Junior ne quittant jamais sa toque de Davy Crockett en herbe, ne manque pas de ressources pour échapper à ses poursuivants. Et quand, malgré tout, l'étau se resserre, sa dulcinée Suzy, armée d'une paire de jumelles qui ne la quitte jamais, sait prendre la relève. Le tout pour notre plus grand bonheur car s'il s'agit de nostalgie, elle est heureuse.


Bilan: On peut s'en passer - Moyen - A voir! -Excellent - Attention, futur grand classique.
Note: 16/20

3 commentaires:

Ada a dit…

Tout allait bien jusqu'à ce que tu évoques Amélie Poulain que je n'aime pas du tout...
C'est marrant ce que tu dis sur les décisions qu'on prend sans réfléchir à un certain âge, et qu'on finit par ne plus prendre après réflexion à un âge certain. J'y pensais pas plus tard que tout à l'heure en me séchant les cheveux (j'ai peut-être moyen d'entrer en politique moi non ?) Je me disais que c'était si simple, si évident, quand j'avais 15 ans, je ne me posais pas tant de questions. Mais en fait je suis bien plus heureuse aujourd'hui. L'enfance c'est dur quand même.

Ada a dit…

(commentaire à supprimer)
Suzy, jeune fille rêveuse, se laisse gentiment entraîner*

Jean-Noël Caussil a dit…

Bon alors pas de panique, hein. Un cinéphile, un vrai, rirait de cette allusion à Amélie Poulain. Voire me prendrait pour un dingo. Moi, ça m'y a fait penser de par les couleurs, la voix-off et les décors. Mais, absolument pas pour le scénario ou la mise en scène.
Et merci pour la faute: je déteste quand j'en laisse passer...