Esthétiquement,
le parc des expositions de Paris-Porte de Versailles est assez loin de la
Vallée des Rois, en Egypte. Si l'on ajoute à cela que l'expo sur le tombeau de Toutankhamon n'y
présente que des répliques - certes grandeur nature et plaquées or, mais des
répliques quand même - il y a de quoi se montrer dubitatif, de prime abord.
Reste que, pour une fois, il ne faut pas se fier à son intuition. Tout cela a
beau être factice, installé dans des entrepôts aux charmes aussi certains
qu'une Jeanne Calment en fin de course, la magie opère: c'est bien la grande
aventure de la découverte du tombeau, intact, de Toutankhamon, qu'il nous est
permis de revivre. Avec, à la clé, une reconstitution fidèle, salle par salle,
de ce que Howard Carter, Lord Carnarvon et sa fille Evelyn ont pu apercevoir en ces jours magiques de 1922.
Les Egyptiens étaient bordéliques. Très bordéliques. |
L'exposition
est conçue pour nous mettre dans la peau des ces trois-là avec, compris dans le
prix d'entrée, un audioguide très bien fait, à la première personne (c'est
Carter qui parle), commentant les différentes étapes de la mise au jour de la
tombe. Brillante idée, soit dit en passant, que de proposer ainsi au regard les
objets - plus d'un millier en tout rassemblé à Paris - dans leur jus de l'époque. Le trône de
Toutankhamon, ses chars, les différentes statues de dieux, son sarcophage et
son masque funéraire? On connaît, tout cela, pour l'avoir déjà vu dans des
vitrines de musées ou sur écrans... Mais avait-on idée du bordel insensé dans
lequel ces trésors, la plupart en or, ont été trouvés ? Moi pas.
Tenace, le petit Howard, très tenace
Les
Egyptiens étaient donc bordéliques, première révélation de l’exposition ! Et
Carter, plutôt du genre tenace. Après quelques considérations sur l'Egypte des
pharaons, sa vie, son oeuvre, on entre vite dans le dur, avec une intéressante notice
sur Carter et les fouilles dans la Vallée des Rois. 1905. Des objets au nom de
Toutankhamon sont découverts. On pense à une tombe pillée, estime qu'il n'y a
plus rien à chercher ici. C'est l'avis, du moins, d'un certain Theodore Davis,
Américain de son état, et gratouilleur de sable de sa passion (c’est lui qui
dispose des droits de fouilles sur la zone). Howard Carter, qui a travaillé un
temps dans son équipe, pense le contraire. Il s'obstine, et n'est pas
franchement d'un caractère à renoncer. Idéaliste et un brin soupe au lait, il
se montre ainsi capable de démissionner de son poste au service des Antiquités en
Basse-Egypte, sur un coup de tête, après un différend avec des touristes
Français un peu cons (qui a dit pléonasme?). Pour la faire courte, ces derniers,
après avoir payé le droit d'entrée pour visiter un temple, se mettent à râler
(des Français qui râlent? Tiens, tiens...) à cause de l'obscurité dans laquelle
ils sont plongés, et font demi-tour. Carter voit rouge, refuse de rembourser
et, plus tard, de s'excuser après que les Français se sont plaints auprès de
ses supérieurs. Le petit Howard nous fait alors ce que l'on nommerait
aujourd'hui une Christophe Hondelatte: "si c'est ça je m'en vais." Le
tout pour aussitôt le regretter car le voilà désormais réduit à jouer au pauvre
guide touristique sans le sou.
C'est là
qu'entre en scène Lord Carnarvon. Vieil anglais un peu cabossé à la suite d'un
accident de voiture, Carnarvon vient, sur les conseils de son médecin, se
requinquer au soleil de l'Egypte. Las, il faut bien l'avouer, on s'emmerde
sévère, sur les bords du Nil, si on n'aime pas les crocodiles. Heureusement, le
destin se charge de faire se rencontrer les deux hommes. Dès 1909, ils se
mettent à travailler main dans la main, avec pelles et râteaux, pour faire de
jolis pâtés de sable dans les environs de Thèbes. Carnarvon joue à merveille
son rôle de pompe à fric, et Carter celui d'explorateur insatiable.
Quatre salles, plus de 3.000 pièces. 3000 ans sans aucun passage. |
Treize ans
plus tard, le 4 novembre 1922 pour être précis, tous ces efforts se voient
récompensés par la découverte de la première des seize marches conduisant vers
le tombeau du grand Toutankhamon. Au bout de cet escalier, une porte murée.
Intacte. Quelques coups de pioches, l'excitation qui monte, un passage qui se
créé et, devant, maintenant, un long corridor qui descend doucement vers on ne
sait où. Carter s'enfonce, fébrile. Bute sur une seconde porte murée. Remonte,
au comble de la joie. Pensez-donc: le signe, assurément, que jamais ce qui se
trouve derrière n'a été pillé. Mais reste une question, essentielle, brûlante:
derrière, justement, qu'y a-t-il?
Carter a la
patience d'attendre Carnarvon, qu'il prévient et fait venir d'Angleterre, où il
était retourné. Le vieil homme ramène sa fille Evelyn avec lui. Le trio
mythique est prêt à entrer dans la légende. L'expo peut réellement commencer.
Les entrées dans les salles suivantes sont filtrées. Pour la bonne cause: de
courtes vidéos de présentation précèdent les reconstitutions des différentes
salles de la tombe. Pas plus d'une petite vingtaine de personnes. Ambiance
sombre à souhait. Comme si on y était, ou presque. La Vallée des Rois, l'entrée
du tombeau, le récit d'Howard Carter dans les oreilles...
Un premier
film. Carter devant la seconde porte murée. La pioche qui s'active. Le trou
béant, qu'il peine à dégager. La bougie qu'il enfonce alors, pour essayer de
distinguer quelque chose à travers. "Que voyez-vous?", s'enquiert,
fébrile, Carnarvon derrière lui. Un court silence. "Des choses merveilleuses",
répond Carter. Fin de la vidéo. Jeu de lumière dans le parc des expos: on nous
invite à nous déplacer de quelques pas, pour nous poster devant la
reconstitution de l'Antichambre, telle que les trois explorateurs l'ont
découverte, il y a 90 ans de cela. Séquence émotion car, même s'il n'y a bien
sûr pas ce petit frisson en plus que seuls procurent les originaux, il convient
de saluer le travail de mise en scène et de lumière réalisé : du grand
art, vraiment.
Ce n'est qu'en 1925, trois ans après la découverte de la tombe, que le sarcophage fut ouvert. |
Sept cents objets entreposés en vrac, statues, trônes et chars en pièces détachés. De l'or partout. Une merveille. De quoi jalouser Carter qui, lui, a connu tout cela "pour de vrai". Au fond, une autre porte. Elle mène à la chambre funéraire nous apprend l'audioguide. Quelques pas de plus et voilà cette nouvelle salle reconstituée. Le si célèbre sarcophage de Toutankhamon devant nous. Carter et son équipe ont dû attendre 84 longues journées avant d'y accéder, à tout déblayer, tout consolider. Pire, une fois atteint, il leur a fallu encore s'armer de patience. Car pour être protégé, il était sacrément protégé, ce foutu sarcophage: emboîté dans quatre chapelles, comme dans autant de poupées russes. Et encore, ces quatre chapelles délicatement enlevées de la tombe, c'est la bagatelle de trois cercueils qu'il faut maintenant se coltiner, dont un en or pur – 110 kilos d’or pur ! Ce n'est ainsi qu'en octobre 1925, quasi trois ans après la découverte de la tombe, que Carter peut enfin admirer le masque mortuaire de Toutankhamon, tout en or, puis la momie du Pharaon.
4 chapelles, 1 sarcophage, 3 cercueils. Toutankhamon était bien protégé. |
Cet ensemble
merveilleux, chapelles puis cercueils emboîtés, est présenté successivement en
fin d'exposition, ainsi que bon nombre des plus de 3000 pièces découvertes au
total dans la tombe, depuis des dizaines de statues votives jusqu’au trône de
Toutankhamon, en passant par ses chars, ses armes, des jouets, des bijoux ou
des amulettes. Une dernière salle, enfin, s'interroge opportunément sur les
causes de la mort du Pharaon, et les dernières hypothèses en date.
L'assassinat, un temps évoqué, paraît aujourd'hui écarté: la fracture du crâne
décelée pourrait être post-mortem. La fracture du genou, et sa possible
infection ensuite, semble davantage tenir la corde. Ce n'est de toute manière
assurément pas le paludisme, dont le jeune Pharaon était atteint, qui l'a tué,
ni même cette maladie osseuse, lui déformant le pied gauche... Mais une chose
est sûre: Toutankhamon, mort à 20 ans après une petite dizaine d'années de
règne, était sacrément mal en point pour son âge. Et, surtout, roi finalement
insignifiant, jamais le petit Pharaon n'aurait dû traverser les millénaires,
sans la découverte de sa tombe par Howard Carter et son équipe.
Char de Toutankhamon, Pharaon bling-bling. |
Toutankahmon, son tombeau et ses trésors
Paris, parc des expositions
Porte de Versailles, hall 8
Jusqu'au 1er septembre 2012
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