
Evidemment, la présentation de bouts d'étoffes et d'argenteries - écuelles et autres cuillers, fussent-elles en argent - m'a assez peu excité. De même que, au début, la litanie de noms - certes exotiques - m'a laissé dubitatif. On apprend ainsi que Gaston Fébus frayait, dans son Béarn natal, avec des gars assez peu recommandables comme Pierre le Cérémonieux, roi d'Aragon, Henri de Trastamare, roi de Castille, ou encore Pierre le Cruel, demi-frère de Riton. Du joli linge que plus personne ne connaît.
Sans doute comme, d'ailleurs, plus personne ne connaîtrait Gaston Fébus s'il n'avait eu la glorieuse idée d'écrire son Livre de Chasse, traité richement illustré (d'où les enluminures et les vieux livres: comme quoi il y a une certaine logique à l'exposition!) sur la chasse et ses techniques qui, mais oui m'sieurs dames, est demeuré comme un ouvrage de référence au moins jusqu'à la fin du XVIIIème siècle et Buffon (euh... Georges-Louis, pas Gianluigi).
Fébus a aussi eu la chance de rencontrer Jean Froissart, l'un des grands chroniqueurs du temps qui ne s'est pas gêné, le bougre, pour parler de lui. Ce que moi, 600 ans après, toujours à la pointe de l'actualité et du scoop, je m'empresse de faire aussi. Y a pas de raison, après tout... Car la vie de Gaston Fébus est assez géniale, faut avouer.
D'abord, pour donner une idée du bonhomme, il ne s'appelle pas Fébus, bien sûr. Mais c'est ainsi que, plein d'une humilité qui l'honore, il se plaît à se faire surnommer. Fébus étant un dérivé direct d'Apollon, ou de Soleil, c'est selon. "J'ai belle prestance", aime-t-il à répéter sans cesse. Et comme l'homme est riche, très riche, personne ne vient le contester sur ce point. C'est aussi un habile politique - il le fallait pour, en pleine Guerre de Cent Ans, réussir à maintenir ses positions alors même qu'Anglais et Français l'entourent et, au gré des alliances scellées ou rompues, le menacent ou le flattent. Enfin, et peut-être surtout, Gaston, tout seigneur du Moyen-Age qu'il est, annonce en réalité déjà la Renaissance: homme "éclairé", comme on dit, il aime à s'entourer d'une cour fastueuse dans son château d'Orthez, avec moult poètes et musiciens. Bon, ok, c'est un pochetron comme les autres, adeptes des beuveries à n'en plus finir, mais c'est aussi ça être en avance sur son époque, non?
Bref, Gaston picole. Et, parfois, ça le rend un poil soupe au lait. Qu'il vire sa femme au lendemain de son accouchement, sans rien lui laisser emporter avec elle, bon... admettons. Mais qu'il fasse emprisonner puis tuer son fiston pour une toute petite broutille de rien du tout, là, tout de même, ce n'est guère raisonnable. La grande faute de Gaston junior qui, c'est vrai, jouait déjà six siècles avant l'heure à "Régis est un con"? Avoir voulu, sur les conseils d'un tonton retors, réinstaurer la concorde dans la famille par la grâce d'une poudre à verser dans les assiettes. Son idée, à ce brave Gaston que l'on qualifiera pudiquement d'un peu simplet, était ainsi de voir son père de nouveau aimer sa mère. Mignon comme tout.
Mais voilà qu'Yvain, le fils préféré, bâtard du comte Fébus, trouve cette histoire de poudre bien louche. Il en avertit son père lequel, soupçonneux, fait d'abord goûter l'un de ses chiens. Chien qui - on dirait du Disney, mais c'est bien la réalité - meurt sur le champ. D'où prison puis, au final, décès suspect de Gaston fils.
Or, et cette fois c'est du La Fontaine tant la morale est belle, vient un jour où Fébus meurt à son tour. Subitement. Au sortir d'une chasse à l'ours. Tout le monde est bien emmerdé car, depuis la mort de Gaston fils, il n'a plus de descendant légitime. Or, à l'époque, on est encore assez tatillon sur la légitimité des enfants. Si bien que le brave Fébus a beau avoir été un prince éclairé, riche, intelligent et tout ce qu'on veut, tout éclate et se perd à sa disparition. "Il laisse un bilan moins flamboyant que sa légende ne le laisse entendre", résume ainsi un panneau de l'exposition. Sic transit gloria mundi...
Si on aime les enluminures |
Et Yvain alors, le petit bâtard, vous entends-je piaffer d'ici? Yvain, sachez-le, échoue dans sa tentative de succéder à son père. Pire, voulant à tout prix dépasser son frère Gaston dans la connerie, il finit atrocement, brûlé vif lors d'une fête à Paris, en janvier 1393. Brûlé vif dans une fête? Diantre, on savait s'amuser à l'époque!
Ce soir-là, six jeunes nobles, emmenés par le roi Charles VI (le roi dingo, ceci expliquant sans doute cela), décident de se déguiser en sauvages pour amuser la galerie. Ils s'enduisent les vêtements de poix, pour y fixer des plumes. Or la poix, c'est bien connu, c'est inflammable. La suite, on la devine... Une torche. Le feu qui prend. Les hommes qui crament.
En sortant, puisque c'est au même endroit, je ne peux que vous encourager à aller admirer La Dame à la Licorne, splendide série de tapisseries du XVème siècle exposée au Musée du Moyen-Age. Pour s'imprégner du contexte de sa fabrication, je conseille aussi la lecture de La Dame à la Licorne, par Tracy Chevalier (c'est un roman).
Gaston Fébus, prince Soleil (1331-1391)
Musée national du Moyen-Age
6, place Paul-Painlevé, 75005 Paris
Jusqu'au 5 mars 2012
2 commentaires:
Tu racontes bien
(tu sais que ça m'excite quand on me parle en latin ?)
Alea jacta est!!!
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