Que demander de plus, à une comédie, que de faire rire. Oh! pas toujours, certes, mais suffisamment pour faire de ce Quai d'Orsay, adapté de la BD éponyme, un film sympathique et souvent drôle. En clair, un bon divertissement.
C'est une
prouesse rare. Rater une bande-annonce... Celle de Quai d'Orsay est plate et
sans invention quand le film, lui, est en réalité plutôt réussi. Enlevons le "plutôt": il est réussi tout court. Certes, on pourra trouver
bien des objections, en notant les défauts - ils existent - mais il n'empêche.
Bertrand Tavernier signe une belle adaptation de la BD de Christophe Blain et Abel
Lanzac. Deux mots, "adaptation" et "BD" qui, pourtant,
souvent associés, donnent rarement du très bon. C'est donc tout à l'honneur de
Tavernier que d'être parvenu à en faire une jolie comédie, souvent drôle, et
savamment rythmée.
Une ode aux fonctionnaires de l'ombre
Une
belle surprise, en somme, même si on peut regretter que Tavernier reste très
mesuré avec le monde politique, se refusant d'engager son film dans une voie
plus féroce. Donc plus mordante. Chaque coup de griffe donné se voit en effet
contrebalancé par un coup de langue, parfois un peu trop baveux pour être
honnête.
Pour
dire les choses autrement, son Quai d'Orsay n'est pas un film de vieil anar
voulant à tout prix faire sauter la République. Il est, au contraire, une ode à
tous ces fonctionnaires de l'ombre, dévoués, petites mains anonymes, mais ô
combien essentielles à la bonne marche de la diplomatie française.
Le
ministre, lui, et par extension les hommes politiques, sont un poil
plus égratignés. Mais gentiment, alors. Tellement gentiment que même
Villepin, qui a très officiellement inspiré la BD, trouve "ça très proche
de la réalité", suivant l'aveu de Tavernier, c'est dire...
Dans
le film, le ministre des Affaires étrangères s'appelle Taillard de
Worms, et pas Villepin, mais c'est son portrait tout craché. L'homme est
fantasque, plein de panache et imbibé de l'Histoire de France. Ce n'est pas lui
qui parle. C'est la France. Une France puissante et dynamique, qui n'existe
plus vraiment. Le ministre n'en a cure. Elle existe encore si on la fait vivre,
c'est aussi simple que cela. Exalté, il est prêt à dire tout et son contraire,
suivant son humeur.
Une adaptation plutôt fidèle à l'esprit de la BD. |
La France, vieux pays d'un vieux continent...
Son
grand sujet du moment, c'est la guerre en Irak, qui se profile. Nous sommes en
2003, et les "néocons" Américains sont bien décidés à en finir avec Saddam. Taillard de Worms doit porter la voix de la France à l'ONU. Un enjeu à
sa hauteur, enfin. Bien plus que de faire gouzi-gouzi avec son minable et
insignifiant homologue Danois. Le ministre veut briller. "La France, vieux
pays d'un vieux continent..."
Quai
d'Orsay, c'est l'histoire de ce discours. De sa rédaction. C'est l'histoire de
la vie du ministère. On suit ainsi, outre Taillard de Worms, l'ensemble des
membres de son cabinet, et ses conseillers. Une merveille de machinerie
parfaitement huilée, bien que, de prime abord, bordélique à souhait. Les
conseillers, professionnels jusqu'au bout des ongles, maîtrisant toutes les
subtilités techniques et politiques de leurs dossiers, sont là pour, doucement,
subtilement, faire "atterrir" le ministre vers des points de vue
disons... plus diplomatiques.
Et
ça avance, même si c'est chaotique. Ça avance même si le ministre est là,
complètement exalté. Ça avance même, figurez-vous, grâce au ministre. Il
apporte son souffle à sa fonction. Une petite étincelle dont ses hommes,
derrière, dans l'ombre, se nourrissent. "La France, vieux pays d'un vieux continent". Le discours est parfait. A vous foutre la chair de
poule.
Un très impressionnant Aresltrup (à gauche), mais Lhermitte s'en sort très bien lui aussi. |
Lhermitte vaut mieux que son image
Voilà
pour le cadre général. Place, maintenant, au vif du sujet. J'allais dire du
problème. Thierry Lhermitte... Un jour, il faudra prendre le temps de se
pencher sur le pourquoi d'une si mauvaise réputation. Lhermitte à l'affiche
d'un film, c'est l'assurance de recueillir, avant même d'avoir vu la moindre
séquence, une volée de critiques acerbes. L'homme n'est pas une quiche,
pourtant. Il a quelques bons films à son palmarès. Bizarre, bizarre… Je ne suis
moi-même d'ailleurs pas exempté de cet a priori... Et, il faut avouer, les
extraits de la bande-annonce ne rassurent guère.
Pourtant,
dans Quai d'Orsay, il se débrouille pas mal du tout. Il incarne avec cohérence
le ministre, et se montre même franchement hilarant dans quelques scènes
phares. Celles avec les stabilos jaunes, par exemple, vraiment très drôles. Le
ministre ne jure que par ces stabilos. Qui lui servent à annoter, surligner,
tous les documents qui passent sous ses yeux. Même les écrans d'ordinateurs,
parfois.
Lhermitte,
à ce petit jeu du burlesque, excelle. Il n'est d'ailleurs jamais meilleur que
dans l'excès. Quand il déboule en coup de vent, claquant les portes et faisant
voler les papiers dans les pièces. Il est en revanche moins convaincant quand
il s'engage dans des tirades plus longues, des scènes plus sérieuses.
A
ce titre, la scène de fin, celle du fameux discours devant la tribune de l’ONU,
est ratée, avec un Lhermitte qui ânonne son discours quand l'original,
Villepin, se montrait plus flamboyant. Une
manière, cela dit, pour Tavernier, de mettre le ministre dans l'ombre pour, une
fois n'est pas coutume, mettre en avant ses conseillers.
Très impressionnant Aresltrup
Il
y a là le jeune Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz), engagé justement pour se charger du "langage". En
clair, écrire les trames des discours... C'est lui le fil rouge du film. On
entre, avec lui, dans ces coulisses assez folles du Quai d'Orsay, ruche où l'on
s'affaire jour et nuit... On suit un extraordinaire Niels Arelstrup, dans le
rôle du directeur de cabinet, ombre magnifique qui sert de pilier à la lumière
du ministre. Son éminence grise. Celui qui tient la baraque. Aussi flegmatique
que le ministre est fantasque. Aussi retenu qu'il est volcanique. Arelstrup est
très impressionnant dans ce rôle. En parfait contre-emploi de ce qu'on imagine
de lui. Un rôle bien plus important, dans sa filmographie, qu'il n'y paraît.
On
suit, aussi, dans la cohorte des conseillers, un très bon Bruno Raffaelli, dans
le rôle du spécialiste du Proche-Orient. Il connaît tous les petits détails de
la région. Son savoir encyclopédique est la meilleure arme pour désamorcer les
conflits, éviter que cette poudrière ne saute à la gueule du monde entier. Et
son boulot, à ce pauvre conseiller, est de tempérer les ardeurs du ministre. Et
d'éviter ainsi qu'il ne dise, ou fasse trop de conneries.
Raffaeli, par sa
présence bonhomme, s'inscrit, comme Arelstrup, en parfait contrepoids
du ministre. Un savant jeu de bascule dont s'amuse Tavernier dans ses ruptures
de rythme. Tavernier qui, au final, livre un film sympathique. Pas d'une audace
folle dans sa mise en scène, mais néanmoins efficace. Un bon divertissement, qu’on
aurait aimé voire plus audacieux, avec davantage de parti pris. C’est un peu
trop sage, un peu trop propre, mais efficace.
Bilan : On peut s'en passer - Moyen - A voir - Excellent
Note : 12/20
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