10 novembre 2012

"La fin. Allemagne, 1944-1945": dix mois pour finir salement une guerre

Les dix derniers mois de la guerre, 2,6 millions de soldats Allemands sont morts. "C'est quasi plus que durant les quatre premières années (2,7 millions, pour faire un total de 5,3 millions en tout)", précise Ian Kershaw, l'auteur du livre "La fin de l'Allemagne,1944-1945". A la fin, on tournait au rythme de 300.000 à 400.000 morts par mois. Plus de 10.000 par jour.
Il était évident, pourtant, que tout était perdu dès lors que le débarquement allié, en juin 44, avait réussi. D'autant que, à l'est, depuis Stalingrad, l'Armée rouge avait pris le dessus, elle aussi. Oh! doucement, certes, laborieusement, mais pris le dessus quand même. Un constat facile à dresser, bien sûr, a posteriori, mais quand même: une réalité.
Pourquoi, alors, s'être autant entêté? C'est toute la question posée par Ian Kershaw, ce qui se fait de mieux, sans doute, en matière d'historien spécialiste de l'Allemagne. "A un moment donné au cours d'un conflit, un pays vaincu se résout presque toujours à capituler, écrit-il en introduction. L'autodestruction par la poursuite des combats jusqu'à la fin, jusqu'à la dévastation quasi totale et l'occupation complète par l'ennemi, est extrêmement rare. C'est pourtant ce que firent les Allemands."
 
Goebbels, Speer, Himmler et Bormann à la baguette
 
Et pourquoi, vous entends-je piaffer? La folie d'Hitler, évidemment. Lui n'a rien à gagner d'une reddition: trop de sang sur les mains pour espérer en réchapper. Et prière de ne pas trop compter sur son sens du bien commun: que l'Allemagne soit plongée sous un tapis de bombes l'indiffère totalement. Pareil pour le premier cercle des dignitaires nazis: tous ne sont pas forcément des dingues paranoïaques et psychopathes (encore que, un bon nombre quand même), mais tous sont impliqués jusqu'au trognon dans des crimes d'une atrocité telle qu'ils n'ont aucune indulgence à attendre de qui que ce soit.
L'échec de l'attentat fomenté
par Stauffenberg et ses amis aura eu
pour grand paradoxe de faire durer
la guerre plus longtemps.
Bon, ok, mais un régime à bout de souffle, ça se renverse, non? Oui. Mais non. Disons que ce n’est pas simple du tout. En clair, y en a qui ont essayé, et ils ont eu des problèmes... L'attentat du 20 juillet 1944, ça vous dit quelque-chose? Ce jour-là, la bombe déposée par Stauffenberg tue 4 personnes et en blesse grièvement 9 autres, tandis que Hitler, lui, est seulement légèrement touché. Un raté qui a de lourdes conséquences... "Paradoxalement, écrit Kershaw, cet attentat qui avait pour but de hâter la fin d'une guerre déjà perdue, n'a fait que la faire durer plus longtemps".
C'est que, dans la foulée, la reprise en main est brutale. Les complotistes arrêtés et exécutés, Hitler plus excité que jamais, et ses plus proches encore plus désireux de lui montrer à quel point ils lui restent fidèles, eux. A la baguette, un quadriumvirat infernal, avec Himmler, Goebbels, Speer et Bormann. Au premier la conduite des affaires militaires, au second la mainmise sur la propagande, au troisième l'industrie de l'armement et au quatrième, chef du parti nazi, toute la bureaucratie interne. Soit, au final, pas un secteur de la vie quotidienne qui leur échappe. D’autant que, en régions, leur influence est relayée par de puissants Gauleiter, sortes de vice-rois omnipotents, généralement complètement fanatisés et dingues de la gâchette. En sorte que c’est donc joyeusement le règne de la terreur. Et qu’il vaut mieux gentiment fermer sa gueule si l’on veut survivre.
 
La peur du Bolchevik
 
Voilà de quoi expliquer en partie pourquoi Hitler a pu rester vaillant jusqu’au bout, sans avoir à subir ni de révolution, ni de soulèvements quelconques. Ce « en partie » est d’importance. Car, si l’on veut être complet, il faut aussi avancer d’autres facteurs, moins glorieux. Il n’y a pas que la peur qui fait tenir le bon peuple allemand. La foi en Hitler, le Führer, sauveur de l'Allemagne, reste forte. Plus de dix années de propagande, habile il faut bien l'avouer, sont passées par là…
Et puis c’est la guerre, aussi. Si on n’aime pas Hitler, on aime son pays… Il est menacé, on le défend… Question de patriotisme, un peu, de survie, beaucoup. Le soldat allemand se bat donc vaillamment. Bien décidé à repousser l’ennemi qui menace l’intégrité du territoire. Surtout quand, d’ailleurs, l’ennemi, à l’est, c'est "la pourriture bolchévique", "le vilain rouge", prêt à égorger femmes et enfants.
L’hystérie est réelle. En partie fantasmée – les premiers retours après les avancées initiales de l’Armée rouge évoquent des femmes clouées vivantes aux portes des granges, puis violées et achevées à coups de bêche (quand on vous disait que Goebbels était doué pour la propagande). Mais en partie motivée, aussi. Vu comment les soldats allemands se sont comportés depuis 1941 dans la région, ils savent bien que, en retour, ils n’ont aucune compassion à attendre d’une Armée rouge maintenant triomphante, et désireuse de se venger.
De quoi légèrement faire peur, et donner des ailes au soldat, sur le front, qui n'a a priori rien à gagner ni à se rendre, ni à être fait prisonnier.
 
Un long hallali de cinq mois après la bataille des Ardennes
 
A l’ouest, l’ambiance est tout autre. Les Américains et les Britanniques ont la réputation de bien traiter leur prisonnier, on a donc moins peur de tomber entre leurs mains. Ce qui n’empêche pas de se battre contre eux, évidemment. C’est ainsi qu’est lancée, le 16 décembre 1944, la bataille des Ardennes, opération de la dernière chance pour Hitler.
"Je n'ai pas besoin d'en dire plus. Vous le sentez tous: c'est tout ou rien!", déclare ainsi à ses hommes Gerd von Rundstedt, le commandant en chef de l'opération. Après un succès initial - le front recule d'une bonne centaine de kilomètres en deux jours -, c'est très vite la douche froide: ce sera rien. A Noël, il est évident que tout est perdu. Le rêve de repousser les Alliés à l'ouest pour pouvoir rapatrier les troupes à l'est afin de lutter plus efficacement contre les Soviétiques tombe définitivement à plat.
Des soldats russes, devant la porte de Brandebourg,
à Berlin, en mai 1945.
C'est l'hallali. Mais un très long hallali de plus de quatre mois encore. L’énergie du désespoir. La durée du travail hebdomadaire a depuis longtemps été relevée à 60 heures pour les hommes et 48 heures pour les femmes. Speer, au prix de crimes qui lui vaudront 20 ans de prison (en gros, un prisonnier de guerre, à ses yeux, est corvéable à merci), accompli des miracles pour faire tourner la machine de guerre allemande. Himmler, petit rat excité, mène son petit monde à la schlague et mobilise tous les hommes valides de 16 à 60 ans au sein des Volkssturm (littéralement, "tempête du peuple"): six millions d'hommes pour faire rempart de leur corps quand les soldats, les vrais, auront été dépassés. A l'est, les femmes et les vieillards sont même appelés en renfort : avec des pelles, des pioches, pour creuser de bien dérisoires tranchées, destinées à arrêter les chars russes...
Une blagounette bien rigolote court même bientôt les rues de Berlin, assiégée : "Combien de temps les Russes mettront-ils à franchir les barricades ? Réponse : 1h05. 1h à en rire et 5 minutes à les démolir."
En réalité, les Russes ne rentreront dans les faubourgs de Berlin que le 24 avril, Hitler se suicidera le 30, et la capitulation, enfin, sera signée les 7 et 8 mai. Quasi un an après le débarquement de juin 44.

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