Les dix derniers mois de la guerre, 2,6 millions
de soldats Allemands sont morts. "C'est quasi plus que durant les quatre
premières années (2,7 millions, pour faire un total de 5,3 millions en
tout)", précise Ian Kershaw, l'auteur du livre "La fin de l'Allemagne,1944-1945". A la fin, on tournait au rythme de 300.000 à 400.000 morts par
mois. Plus de 10.000 par jour.
Il était évident, pourtant, que tout était perdu
dès lors que le débarquement allié, en juin 44, avait réussi. D'autant que, à
l'est, depuis Stalingrad, l'Armée rouge avait pris le dessus, elle aussi. Oh!
doucement, certes, laborieusement, mais pris le dessus quand même. Un constat
facile à dresser, bien sûr, a posteriori, mais quand même: une réalité.
Pourquoi, alors, s'être autant entêté? C'est
toute la question posée par Ian Kershaw, ce qui se fait de mieux, sans doute,
en matière d'historien spécialiste de l'Allemagne. "A un moment donné au
cours d'un conflit, un pays vaincu se résout presque toujours à capituler,
écrit-il en introduction. L'autodestruction par la poursuite des combats
jusqu'à la fin, jusqu'à la dévastation quasi totale et l'occupation complète
par l'ennemi, est extrêmement rare. C'est pourtant ce que firent les
Allemands."
Goebbels,
Speer, Himmler et Bormann à la baguette
Et pourquoi, vous entends-je piaffer? La folie
d'Hitler, évidemment. Lui n'a rien à gagner d'une reddition: trop de sang sur les
mains pour espérer en réchapper. Et prière de ne pas trop compter sur son sens
du bien commun: que l'Allemagne soit plongée sous un tapis de bombes
l'indiffère totalement. Pareil pour le premier cercle des dignitaires nazis:
tous ne sont pas forcément des dingues paranoïaques et psychopathes (encore
que, un bon nombre quand même), mais tous sont impliqués jusqu'au trognon dans
des crimes d'une atrocité telle qu'ils n'ont aucune indulgence à attendre de
qui que ce soit.
L'échec de l'attentat fomenté par Stauffenberg et ses amis aura eu pour grand paradoxe de faire durer la guerre plus longtemps. |
C'est que, dans la foulée, la reprise en main est
brutale. Les complotistes arrêtés et exécutés, Hitler plus excité que jamais,
et ses plus proches encore plus désireux de lui montrer à quel point ils lui
restent fidèles, eux. A la baguette, un quadriumvirat infernal, avec Himmler,
Goebbels, Speer et Bormann. Au premier la conduite des affaires militaires, au
second la mainmise sur la propagande, au troisième l'industrie de l'armement et
au quatrième, chef du parti nazi, toute la bureaucratie interne. Soit, au final,
pas un secteur de la vie quotidienne qui leur échappe. D’autant que, en régions,
leur influence est relayée par de puissants Gauleiter, sortes de vice-rois
omnipotents, généralement complètement fanatisés et dingues de la gâchette. En
sorte que c’est donc joyeusement le règne de la terreur. Et qu’il vaut mieux
gentiment fermer sa gueule si l’on veut survivre.
La peur du Bolchevik
Voilà de quoi expliquer en partie pourquoi Hitler
a pu rester vaillant jusqu’au bout, sans avoir à subir ni de révolution, ni de
soulèvements quelconques. Ce « en partie » est d’importance. Car, si
l’on veut être complet, il faut aussi avancer d’autres facteurs, moins glorieux.
Il n’y a pas que la peur qui fait tenir le bon peuple allemand. La foi en
Hitler, le Führer, sauveur de l'Allemagne, reste forte. Plus de dix années de propagande, habile il faut bien l'avouer, sont passées par
là…
Et puis c’est la guerre, aussi. Si on n’aime pas
Hitler, on aime son pays… Il est menacé, on le défend… Question de patriotisme,
un peu, de survie, beaucoup. Le soldat allemand se bat donc vaillamment. Bien
décidé à repousser l’ennemi qui menace l’intégrité du territoire. Surtout
quand, d’ailleurs, l’ennemi, à l’est, c'est "la pourriture bolchévique",
"le vilain rouge", prêt à égorger femmes et enfants.
L’hystérie est réelle. En partie fantasmée – les
premiers retours après les avancées initiales de l’Armée rouge évoquent des
femmes clouées vivantes aux portes des granges, puis violées et achevées à
coups de bêche (quand on vous disait que Goebbels était doué pour la propagande).
Mais en partie motivée, aussi. Vu comment les soldats allemands se sont
comportés depuis 1941 dans la région, ils savent bien que, en retour, ils n’ont
aucune compassion à attendre d’une Armée rouge maintenant triomphante, et
désireuse de se venger.
De quoi légèrement faire peur, et donner des
ailes au soldat, sur le front, qui n'a a priori rien à gagner ni à se rendre,
ni à être fait prisonnier.
Un long
hallali de cinq mois après la bataille des Ardennes
A l’ouest, l’ambiance est tout autre. Les Américains
et les Britanniques ont la réputation de bien traiter leur prisonnier, on a
donc moins peur de tomber entre leurs mains. Ce qui n’empêche pas de se battre
contre eux, évidemment. C’est ainsi qu’est lancée, le 16 décembre 1944, la bataille des Ardennes, opération de la dernière chance pour Hitler.
"Je n'ai pas besoin d'en dire plus. Vous le
sentez tous: c'est tout ou rien!", déclare ainsi à ses hommes Gerd von Rundstedt, le commandant en
chef de l'opération. Après un succès initial - le front recule d'une bonne
centaine de kilomètres en deux jours -, c'est très vite la douche froide: ce
sera rien. A Noël, il est évident que tout est perdu. Le rêve de repousser les
Alliés à l'ouest pour pouvoir rapatrier les troupes à l'est afin de lutter plus
efficacement contre les Soviétiques tombe définitivement à plat.
Des soldats russes, devant la porte de Brandebourg, à Berlin, en mai 1945. |
C'est l'hallali. Mais un très long hallali de
plus de quatre mois encore. L’énergie du désespoir. La durée du travail
hebdomadaire a depuis longtemps été relevée à 60 heures pour les hommes et 48
heures pour les femmes. Speer, au prix
de crimes qui lui vaudront 20 ans de prison (en gros, un prisonnier de guerre,
à ses yeux, est corvéable à merci), accompli des miracles pour faire tourner la
machine de guerre allemande. Himmler, petit rat excité, mène son petit monde à
la schlague et mobilise tous les hommes valides de 16 à 60 ans au sein des
Volkssturm (littéralement, "tempête du peuple"): six millions
d'hommes pour faire rempart de leur corps quand les soldats, les vrais, auront
été dépassés. A l'est, les femmes et les vieillards sont même appelés en renfort :
avec des pelles, des pioches, pour creuser de bien dérisoires tranchées, destinées
à arrêter les chars russes...
Une blagounette bien rigolote court même bientôt
les rues de Berlin, assiégée : "Combien de temps les Russes
mettront-ils à franchir les barricades ? Réponse : 1h05. 1h à en rire et 5 minutes à les démolir."
En réalité, les Russes ne rentreront dans les
faubourgs de Berlin que le 24 avril, Hitler se suicidera le 30, et la
capitulation, enfin, sera signée les 7 et 8 mai. Quasi un an après le
débarquement de juin 44.
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