Les gauchistes m'ont toujours amusé. Surtout ceux des années 1970. Une sorte d'effervescence intellectuelle, des idéaux oscillant entre une naïveté enfantine mignonette et des dérives terroristes d'une bêtise abyssale. Je balaie d'un revers du poignet méprisant les seconds pour préférer les premiers. Ces jeunes étudiants maoïstes qui s'en vont, le temps des vacances, servir à l'usine pour porter la bonne parole du Petit Livre rouge aux ouvriers, forcément un peu neuneus, qui ont besoin qu'on les éclaire. Certains, les maos ruraux dirons-nous, ont préféré partir donner à manger aux truies dans les fermes, pour faire de même parmi les paysans. Eduquer les masses, qu'ils appelaient ça.
Ah ça, ils y croyaient à leur Révolution. Ils l'attendaient, ils la préparaient. Et puis, comme tout le monde, ne voyant rien venir, ils sont rentrés dans le rang. L'usine, ça va bien deux secondes. La boue des champs aussi. Cela dit, ils les retrouvent encore de temps en temps, aujourd'hui, les voies de leur jeunesse. Si, si : à l'occasion des campagnes électorales. Car ils ont la soixantaine bien tapée, maintenant, nos camarades maos des années 1970. Cela fait dix, vingt ans qu'ils sont au pouvoir, essaient de l'être, ou patientent pantouflardement adossés aux colonnes de l'Assemblée nationale.
Du col Mao au Rotary
Oh! qu'on ne se méprenne pas. Pas de mépris, dans ma bouche, pour leurs carrières politiques. Après tout, si l'on veut "changer le monde", c'est encore là le chemin le plus direct. C'est juste que d'élections en réélections, de campagnes en buffets et de discours en petits fours, ils se sont bien arrondis les révolutionnaires d'hier. Du col Mao au Rotary, disait joliment Guy Hocquenghem.
A la limite, heureusement, car ils auraient l'air bien crétins à encore professer leur foi en la Chine communiste... Reste l'histoire d'une génération fascinante, qui a grandi dans une époque révolue: le souvenir de la guerre, pas si lointaine, et la méconnaissance de la crise, pas encore là. Avoir 20 ans dans ces conditions... Tout à faire et rien à craindre.
Le rêve. Mais un rêve bientôt saccagé. Premier, puis second choc pétrolier. Crise économique, chômage de masse. Ouverture d'esprit sur les réalités de ce qui se passe dans les pays communistes. Soljenitsyne, pour l'URSS, mort de Mao puis procès de la Bande des Quatre, pour la Chine.
De quoi sérieusement mettre à mal le "messianisme militant" de ces jeunes gens - l'expression est de Patrick Rotman et de Hervé Hamon, auteurs des deux tomes fabuleux de Génération, Les années de rêves et Les années de poudre: ce qui se fait de mieux pour comprendre l'ambiance de ces folles années 70.
L'enthousiasme militant? Un peu absent
Quel rapport avec le film d'Olivier Assayas, dont je suis ici censé parler? Aucun, malheureusement, et c'est bien là le problème. Mais peut-être est-ce ma faute. Peut-être que je m'emballe trop fort, et trop vite, quand il s'agit de Mai 68 et son après... N'y voyez aucune prise de position politique, ni une quelconque nostalgie révolutionnaire. Ces concepts m'indiffèrent.
Ce qui m'intéresse, c'est le débat d'idées. Ce qui me passionne, c'est le destin de ces étudiants soixante-huitards et post soixante-huitards. Ce qui me fascine, c'est de les voir partir à Cuba, à Moscou, au Laos ou à Pékin, et en revenir confortés, transformés ou désabusés. Ce qui me sidère, c'est de les voir rentrer si vite dans le rang, ensuite, ou sombrer dans la folie terroriste. Et ce qui m'attriste, c'est de ne rien voir de cela dans le film d'Olivier Assayas.
Lola Creton et Clément Métayer. |
Après mai, pourtant... 1971... On devrait être en plein dedans. Plein de cette effervescence, de cet enthousiasme militant. Mais le film ne fait que survoler ce sujet. L'impression, désagréable, d'assister à un film de famille: Assayas filmant sa jeunesse, ou s'en inspirant très fortement car, bon sang, Gilles, le héros, c'est lui à 16 ans, pas de doute là-dessus.
Or, la jeunesse d'Assayas, visiblement, était d'un banal affligeant. Les études, un peu, les filles, un peu aussi, et la passion pour l'art et la peinture, beaucoup. Sans doute de quoi tirer des larmes aux siens, mais pas de quoi nous bouleverser, nous autres, pauvres spectateurs.
Ni film politique, ni film sociétal: le cul entre deux chaises
Mauvais film, alors? Non. Juste pas bon. Sauvé par quelques jolies trouvailles: une bande son pas dégueulasse du tout, et puis des personnages attachants, malgré tout. Pas trop les rôles féminins: Lola Creton (Christine) est en dessous, tandis que Carole Combes (Laure), pardon pour elle, devra d'abord aller prendre de sérieux cours de diction avant d'envisager faire une quelconque carrière... Mais Clément Métayer (Gilles) s'en sort plutôt très bien dans le rôle de "l'artiste maudit", en rébellion (gentillette) contre sa famille. Avec une jolie tirade sur Simenon et Jean Richard dans le bureau de son père: un vraie bonne et belle scène de cinéma.
Pour le reste, un simple survol de l'atmosphère chaude des années 1970. Et on a du mal à voir dans Après mai autre chose qu'une simple bluette adolescente alors que le fond du problème, tel que soulevé par Olivier Assayas, était pourtant de nous entraîner, avec ses héros, "au coeur des choix décisifs qu'ils ont à prendre pour leur avenir", tiraillés qu'ils sont entre leurs idéaux et la réalité de la vie.
Las, ni film politique, ni film sociétal s'interrogeant sur la soif d'utopie d'une génération, Après mai n'a pas osé, non plus, aller flirter avec le film introspectif, centré sur le personnage de Gilles. A la limite, c'est dommage, car j'aurais aimé le voir vieillir ce Gilles, savoir ce qu'il avait dans le ventre et comment il allait s'en sortir. A défaut d'avoir réellement choisi entre ces trois options, Olivier Assayas a raté son coup, Après mai restant trop inconsistant pour qu'on s'y attache.
Bilan: On
peut s'en passer - Moyen - A voir! -
Excellent
Note: 09/20
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