25 décembre 2014

Bilan 2014 : Mommy, meilleur film

Le film de l'année est signé Xavier Dolan.
Meilleur par rapport à qui, par rapport à quoi ? Et puis selon quels critères, surtout ? Partons du principe que tout cela est forcément subjectif. Et qu'il y a là, bien sûr, un petit côté maître d'école un peu ridicule. On en convient. Mais on aime les bilans et les statistiques, que voulez-vous...

36 films vus cette année, contre 39 en 2013 et 32 en 2012 - on tient un rythme pas si dégueulasse que cela, mine de rien. Dans le lot, 10 en français et 26 étrangers : c'est nettement moins francophile que d'ordinaire.

Les notes ? De 3/20 au sinistre Shirley jusqu'à 18 pour Mommy, Pride et 12 years a slave. Le tout pour une moyenne de 10,2/20 qui ne doit pas cacher que cette année 2014 aura été franchement plutôt belle, avec de très jolis films.

Dans le détail, d'ailleurs : 6 fois la mention "excellent" (exactement comme en 2012 et 2013), 9 fois celle "à voir", tandis que 11 films ont été qualifiés de "moyens" et que, par 10 fois, j'aurais mieux fait de faire autre chose que d'aller au cinéma ("on peut s'en passer").

Mais place au top 10, qui pointe à un très joli 15,5/20 :

1/ Mommy, Xavier Dolan.
Qui d'autre que Xavier Dolan, évidemment.
Photo ©Eric Dessons/JDD.
Xavier Dolan au sommet. Déjà. En cinq films et à 25 ans à peine, Dolan aura su se hisser tout en haut avec ce Mommy, merveille de chef-d'oeuvre qui mérite son titre de film de l'année. Un petit bijou de maîtrise. De bout en bout. Rien à jeter. Tout est parfait. Le scénario, avec l'histoire de Diane, qui vit seule avec son fils Steve, atteint de graves troubles du comportement. La mise en scène, mettant en lumière l'amour d'une mère pour son fils, et d'un fils pour sa mère. La musique. Des plans, sublimes, qui feront date... Ces passages, merveilleux, du 4:3 au 16/9... Ah ces si éblouissants passages...
Rarement on se sera pris autant d'émotions dans la gueule. Vraiment. Il faut vivre la montée émotionnelle, fantastique, de la dernière demi-heure. Ces moments de grâce, de pur bonheur cinématographique, quand, comme avec le sac et le ressac de la mer, on se laisse hypnotiser, embarquer dans les rebondissements successifs, qui ne cessent de nous cueillir, l'écume aux lèvres, la larme jamais loin de l'oeil, scotché par la force, grandiose, qui nous éblouit de l'écran.




Pride est la petite pépite "indé"
de l'année. Un film vraiment
merveilleux.
2/ Pride, Matthew Warchus.
Longtemps, Pride aura tenu la place de n°1. En tout autre année, moins riche que 2014, assurément l'aurait-il obtenue. Ce film, dont on n'attendait rien, nous a tout donné. Une merveille qui nous a fait passer des rires aux larmes. Un film émouvant de solidarité et d'entraide. Merveilleux de compassion et d'humanité. Exceptionnel d'émotion. Rajoutez à cela que c'est une histoire vraie, et comprenez pourquoi on craque.
Nous sommes en 1984. Margaret Thatcher est au pouvoir et les mineurs sont en grève. Sur l'air du "je te comprends, camarade mineur, j'ai subi les mêmes exactions et vécu les mêmes injustices", un petit groupe gay et lesbien de Londres décide d'organiser une grande collecte de fonds en soutien.
Il faut imaginer, alors, deux mondes qui se télescopent. Les homos de Londres et les culs-terreux des mines. Ni les mêmes vies, ni les mêmes parcours. Encore moins les mêmes aspirations. Le choc de deux cultures, qu'on croit irréconciliables et qui vont s'avérer, depuis le fin fond du Pays-de-Galles en lutte, unies comme jamais. Franchement fabuleux.



Du grand cinéma américain
comme on l'aime. Dur, mais sans voyeurisme.
3/ 12 years a slave, Steve McQueen II.
Dur, cru, mais jamais voyeuriste ni manichéen, 12 years a slave n'est pas, non plus, un film militant. Il met en lumière, toujours subtilement, un passé qu'il ne faut pas occulter. Et montre, surtout, une Amérique en mutation, sociale, plus que raciale. Passionnant de bout en bout.
Nous sommes à la fin du XIXème siècle, à revivre l'histoire, vraie, de Solomon Northup, noir mais libre (c'est terrible de devoir écrire ce "mais") vivant très bourgeoisement, en harmonie avec les blancs, dans l'état de New York, avec femmes et enfants.
Mais voilà qu'il est enlevé. On lui vole ses papiers et le vend comme esclave. Pour tout le monde, désormais, il est Platt, "nègre" évadé de Géorgie. On le rapatrie vers le sud esclavagiste. Ravalé au rang de bête - pire qu'une bête, un chien, au moins, a droit à des caresses -, incapable de clamer son identité d'homme libre, il est parti pour douze longues années d'esclavage. Un choc autant social que cinématographique.



Un magnifique bol d'air et d'émotion.
De nostalgie aussi. Une merveille.
4/ Boyhood, Richard Linklater.
Boyhood, pour qui veut bien se laisser aller à la nostalgie, est un petit bijou. On y suit, sur douze années - mais vraiment sur douze ans, à raison d'une semaine de tournage par an - la vie d'une famille am"ricaine lambda. La vie qui passe. L'enfance qui s'envole. Magique.
On a le sentiment de vivre un grand moment de cinéma. Il faut voir les deux enfants, Mason (Ellar Coltrane) et Samantha (Loreleï Linklater) grandir et se transformer physiquement pendant ces quasi 3h de film. Cela a quelque chose de touchant, de sensible.
C'est sans fard, ils passent par leurs années ingrates, eux aussi. Surtout, le scénario n'est pas négligé et le film ne tient heureusement pas que grâce à ce vieillissement en direct. Les enchaînements sont logiques et l'histoire de cette famille américaine est belle. Belle parce que quelconque. Disons donc que, forcément, on s'y reconnaît et s'y attache. Pas de crimes, pas de sang, pas trop de pleurs, non. Juste la vie qui passe, doucement, plus ou moins sereinement et agréablement. Rien que pour l'idée initiale, à voir, et à savourer.



5/ The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson.
Qu'il est bon de se laisser embarquer dans l'univers, jubilatoire, de Wes Anderson. Il faut passer, quand même, les dix premières minutes, mais c'est ensuite un pur régal. On y suit l'histoire de Gustave H. (Ralph Fiennes), premier concierge du Grand Budapest Hotel, luxueux hôtel perdu quelque part dans le pays imaginaire de Zubrowka, qu'on imagine en Europe de l'Est.
Jouisseur gérontophile, dandy égaré dans des années 1930 qui voient la montée du fascisme et de la guerre, le flegmatique Gustave H. se trouve embarqué, flanqué de son fidèle second, le lobby boy Zero (Tony Revolori), dans un conflit d'héritage familial, qui tourne au thriller, mi-sanglant, mi-burlesque.
Il y a, dans ce Grand Budapest Hotel, autant de facéties qu'il y en a dans Le Dictateur, de Chaplin. La même volonté, satirique, de se moquer des va-t-en-guerre de tous pays. Le même second degré. Le même détachement. La même manière, faussement enfantine, vraiment burlesque, de dénoncer les pires errements de l'humanité.



6/ A most violent year, JC.Chandor.
Le héros de A most violent year veut vivre le rêve américain... honnêtement. Le fou... JC.Chandor, après Margin Call, mais d'une manière bien plus efficace, en remet une couche sur cette connerie de rêve américain. Ses limites surtout.
Pétri de toute cette jolie culture des polars américains des 70’s, avant l’arrivée des explosions faciles et des biscottos ridicules des sauveurs du monde hollywoodiens, Chandor livre un film délicieusement intemporel. A l'ancienne.
On y suit Abel Morales, hispano installé avec succès dans le business de la livraison de fioul à New York. Parti de rien et bien décidé à aller tout en haut, Abel veut vivre son rêve américain, droit et fier, sans jamais glisser hors de la légalité. Après tout, oui ou merde, tout n'est-il pas possible, aux States, à force de travail, de courage et de détermination ? Sauf que ce n'est pas si simple, évidemment. A voir, vraiment : le film sort le 31 décembre 2014.



7/ Gone Girl, David Fincher.
Thriller implacable autant que machiavélique, Gone Girl, 2h30 durant, sans temps mort ni temps faible, nous embarque dans la vie de couple, palpitante, et loin d'être tranquille, de Nick Dunne (Ben Affleck) et sa femme Amy (Rosamund Pike).
Cinq ans de mariage, cela se fête. Sauf que c'est précisément ce jour-là qu'Amy disparaît mystérieusement. Or Amy n'est pas n'importe qui. C'est "The Amazing Amy", figure nationalement connue de la littérature enfantine, telle que décrite par sa mère, auteur célèbre.
Bref, tout ça pour dire que sa disparition affole les médias qui, par l'odeur du scoop alléché, accourent à la vitesse d'une Marguerite Duras sur les rives de la Vologne, en 1984... La police trouve du sang dans l'appartement. Et si Nick avait tué sa femme ?
S'ensuit une enquête policière tout autant que psychologique. Que se cache-t-il dans la tête de Nick et Amy ? Couple modèle, terrassé par un drame terrible, ou couple accablé par les faux-semblants ?



8/ Les Opportunistes, Paolo Virzi.
Le scénario est d'une richesse assez incroyable et la mise en scène, si elle est très classique, tient franchement bien la route. Pour tout dire, on a même été scotché par la qualité de l'intrigue, la manière dont elle est menée. Une sacrée bonne surprise, en somme, que ces Opportunistes, film italien sorti à l'automne.
Il y a là, outre les bons vieux codes du polar "social" - la famille, le secret, l'ambition, l'argent, le mélange des classes -, toutes ces bonnes recettes qui nous font voguer quelque part entre les atmosphères des films de Chabrol et de Woody Allen.
On nous narre les aventures, mêlées, entremêlées, démêlées et pas toujours très saines, des familles Bernaschi et Ossola. La première est une raclure fin de race de la grande bourgeoise financière, riche à millions, d'une cupidité à toute épreuve et bouffée par les non-dits. Tandis que la seconde est une raclure arriviste sans grande envergure, mais d'une prétention folle, très nouveau riche. Les deux se trouvent liées par l'amour qui unit les deux rejetons de famille. Et tout ça ne demande qu'à éclater, bien sûr.



9/ Night Call, Dan Gilroy.
Night Call donne à Jake Gyllenhaal un rôle assez sublime de cynique monstrueux, paparazzi charognard de l'info. Un charisme de dingue - dingue étant vraiment le bon mot tant, d'un simple regard, il vous file les jetons, le grand Jake.
Il incarne Lou Bloom, merveille de taré comme on les aime, qui se découvre un petit talent de paparazzi charognard (pléonasme) en restant branché, de nuit, sur les fréquences radio de la police de Los Angeles, afin de se rendre fissa sur les lieux des pires crimes et accidents.
Du sang, des larmes et de la peur, le brave Lou, psychopathe génial, prend un pied monstrueux et, hop hop hop, une fois tout ça dûment filmé, court vendre ses sujets aux chaînes infos locales. Il trouve là d'autres carnassiers à col blanc pour lui acheter ses reportages au prix cher, pour autant qu'on y voit bien en gros plan la mort et la sang. Une joyeuse et cinglante critique de la société du spectacle.



10/ Only lovers left alive, Jim Jarmusch.
C'est beau, c'est sombre et c'est poétique. Il faut passer sur les lettres gothiques dégueulasses de l'affiche et se laisser embarquer par cette histoire de vampire qui n'en est pas vraiment une, et qui nous narre la difficulté de vivre en ce bas monde décadent.
Adam et Eve, (post)modernes, romantiques en diable, désenchantés et mélancoliques, sont transportés au XXIe siècle et, cette fois c'est sûr, le paradis terrestre est bien perdu. Jarmusch nous plonge dans une ambiance noire, nocturne, avec un Adam et une Eve qui regardent de leur oeil de vampire le monde déliquescent. Ils en viendraient presque à regretter le bon vieux temps de l'Inquisition et des épidémies meurtrières des bords de Tamise, c'est tout dire...
Couplé à une bande-son parfaite, voilà donc un film de vampire intelligent, qui est surtout un prétexte pour discourir sur l'état du monde, déplorable, et sur comment faire pour, malgré tout, tenter de se dépatouiller avec ça. Du bon Jarmusch.



Voilà pour le top 10, très réjouissant cette année. Place aux récompenses, maintenant :

Jake Gyllenhaal, incontournable meilleur acteur,
dans Night Call.
Meilleur film : Mommy

Meilleur réalisateur : Matthew Warchus, pour Pride

Meilleur acteur : Jake Gyllenhaal, pour Night Call

Meilleure actrice : Tilda Swinton, pour Only lovers left alive

Révélation masculine : Tony Revolori, pour The Grand Budapest Hotel

Révélation féminine : Lupita Nyong'o, pour 12 years a slave

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