25 mai 2014

"Cyrano de Bergerac" : ultra-moderne solitude à l'Odéon

On pouvoir craindre que, débarrassé de ses plumes, Cyrano en perde quelques-unes, justement, de plumes. C'est tout le contraire. En survêtement et marcel, placé dans une salle d'une asile psychiatrique, il prend, au théâtre de l'Odéon, des accents ultra-modernes. La force du texte, couplé au talent, admirable, de Philippe Torreton, fait le reste pour emporter l'adhésion.


C'est fou comme une mise en scène change le ton d'un texte, d'une pièce. Oui, on en convient, on réinvente l'eau chaude, on sait. Il n'empêche. C'est frappant, et flagrant, avec ce Cyrano de Bergerac, joué au théâtre de l'Odéon.
C'est vrai, quoi. Même si la pièce est très contemporaine, écrite par Rostand en 1897, elle évoque un temps que les moins de 400 ans ne peuvent pas connaître. En gros, on est au XVIIème siècle, en costumes et en vers. Enfin ça c'est dans la perception classique de cette pièce. Car à l'Odéon, justement, si on est heureusement en vers (le texte original est respecté, juste un peu coupé), on n'est plus en costumes et on n'est surtout plus au XVIIème.
Où diable est-on, alors ? Dans une salle commune d'un asile psychiatrique, visiblement. Avec un Cyrano en marcel et jogging. Le Bret, Ragueneau, de Guiche aussi. C'est, dans un premier temps, assez déroutant, il faut l'admettre.

Torreton est un grand. On le savait déjà.
On en a la preuve encore une fois.
Un sublime Philippe Torreton

Mais, très vite, on se laisse porter par le texte, le talent des comédiens qui le déclament. Et, finalement, cette absence de costumes d'époque aide à mieux savourer la modernité, assez folle, sinon du texte - on est vers -, du moins des thèmes abordés. Il est question d'amour, si possible impossible, d'estime de soi et, finalement, d'altruisme. Pas besoin de développer davantage là-dessus, on connaît tous...
De même que l'on connaît tous les grandes tirades, qui ont fait la renommée du texte. Nulle utilité, donc, d'en détailler le menu, sinon pour souligner, une fois encore, la prestance et le talent de Philippe Torreton, qui porte ce texte avec des accents de sincérité qui emportent l'adhésion. Tout est juste, dans sa bouche. Sublime. Avec la bonne intonation, au bon moment. Il en éclipserait même ses camarades.
Disons même qu'il les éclipse, c'est un fait. Mais c'est aussi le texte qui veut ça, après tout. Si Cyrano est bon, la pièce l'est aussi. Or, Cyrano-Torreton est plus que bon. Vraiment. Et comme il n'est pas le seul à l'être, on ne boude pas son plaisir.

Skype pour moderniser la scène du balcon
Nez. Pic. Cap. Péninsule. Tout ça...


Il faut ainsi évoquer la mise en scène de Dominique Pitoiset. Elle est, pour le moins, audacieuse. A tel point, d'ailleurs, qu'on n'est pas bien sûr, nous, d'avoir tout compris. Pourquoi un asile psychiatrique? Mystère. Jouent-ils à Cyrano et ses amis ou sont-ils les personnages? Mystère aussi. En même temps, reconnaissons à Pitoiset une bonne excuse : livrer une explication en bonne et due forme, cela aurait été trahir le texte original, en y rajoutant une scène, au début ou à la fin, pour nous donner les clés du pourquoi du comment de ce foutu asile...
Et puis, si on ne sait pas ce qu'on fait dans cet asile, on y est foutrement bien, malgré tout, et c'est bien là l'essentiel. Torreton s'amuse, c'est visible, prenant ici une posture de coureur portant la flamme olympique, ou là un petit sourire moqueur. Donc nous aussi, on s'amuse et adhère. Pleinement.
Au-delà de ces artifices scéniques, en soi déjà réjouissants, il faut évoquer, mais sans trop en dire, la scène du balcon, où Cyrano souffle à Christian les mots doux que Roxane souhaite entendre. Une chieuse, soit dit en passant, cette Roxane, que de vouloir des vers et de jolies strophes quand un "je t'aime", simple, mais pourtant efficace, ne lui suffit pas. Chaudasse, va. Allumeuse.

La musique, via ce jukebox, habille joliment le texte.
Bashung en résonance avec Cyrano

Mais on s'égare. La scène, donc. Elle prend à l'Odéon une tournure ultra-moderne, via une connexion par Skype. Une trouvaille franchement sublime, qui fait tout sauf gadget. Même chose avec les petits écarts pris avec Rostand. Pas dans le texte, non, on l'a déjà dit, mais dans l'habillage sonore, on dira. Un jukebox est posé dans un coin de la scène. A intervalle régulier, les comédiens viennent l'actionner. Et ce sont alors les voix de Freddy Mercury, Elton John, Edith Piaf ou, surtout, en fin de représentation, Bashung, qui résonnent. Comme autant d'odes aux exclus. Aux poètes. A la mélancolie. Débarrassé de son décorum à plumes, Cyrano n'est plus de Bergerac, mais du XXIème siècle. Il est surtout à voir, et vite, jusqu'au 28 juin au théâtre de l'Odéon, à Paris.

Cyrano de Bergerac
Théâtre de l'Odéon
Jusqu'au 28 juin 2014

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