Le nu masculin est-il forcément homoérotique? Pas forcément, nous prouve le musée d'Orsay. On regrettera, quand même, l'organisation foutraque de l'ensemble, sans grande cohérence. Restent, malgré tout, quelques jolies oeuvres, notamment photographiques.
Des
filles à poil, on en voit partout. Même pour vendre des yaourts. Surtout pour
vendre des yaourts. Mais les hommes ? Jusqu’à une période très récente, on
les mettait rarement à nu. C’est dire, donc, si l’exposition vouée aux nus
masculins, à Orsay, est intéressante à voir. Au moins pour se rendre compte de
comment diable ils se dépatouillent avec ce sujet.
Et
la réponse est… mal, très mal. Les œuvres donnent méchamment l’impression
d’avoir été jetées un peu au hasard dans les salles. Une juxtaposition
foutraque dont il est bien difficile de faire le tri pour trouver un fil
conducteur. Ce qui ne veut pas dire que ce soit mauvais, non. On trouve, dans
le lot, quelques pépites qui méritent le coup d’œil.
De l'Académisme à l'homoérotisme
David. Patrocle. |
Mais
si l’on est en attente d’explications et d’analyses historiques… prière de
passer son chemin. Cela aurait été passionnant, pourtant, de chercher à
comprendre comment le regard porté sur le nu masculin a pu évoluer depuis deux
siècles. De voir si la représentation d’hommes nus a pu causer quelques scandales
retentissants, dans le passé. Et de s’interroger, enfin, sur la sexualité
sous-jacente. L’était-elle tant que cela, sous-jacente, d’ailleurs ? Ce
galbe d’une fesse, là, que l’on voit chez David, dans son Patrocle, est-il
destiné à susciter l’émoi homoérotique, ou pas du tout ?
La
réponse est non, tuons tout de suite le suspense. Alors que, a contrario, c’est
bien évidemment le cas des multiples œuvres de Pierre et Gilles, dispatchées un
peu partout dans les salles d’exposition. D’où cette question, hurlée dans tout
Orsay sans qu’aucune réponse ne lui soit accordée : où et quand la bascule
s’est-elle faite ?
Parcours aléatoire... pour ne pas dire foutraque
Gustave Moreau, Prométhée. Cachez ce sexe que je ne saurais voir. |
En
dépit d’un parcours sur le papier très clair – « idéal classique »,
« nus héroïques », ou « dans la douleur » - on ne comprend
strictement rien à l’organisation de l’exposition. On passe de Pierre Narcisse Guérin à Pierre et Gilles, sans transition, avant de filer vers un Gustave Moreau ou un David, pour mieux revenir à Pierre et Gilles, dont on se dit que,
décidément, le musée d’Orsay a obtenu un prix de gros pour disposer de leurs
œuvres… Alors, abandonnant tout espoir de « contextualisation », on
se balade en profitant juste – et c’est déjà pas mal – des quelques jolies
œuvres distillées.
Néanmoins,
n’écoutant que mon courage, légendaire, je m’en vais tenter une analyse.
Puisque le travail n’est pas fait, il faut bien que quelqu’un s’y colle… Au
commencement était l’idéal Antique. Vous savez, les statues grecques avec des
kikis riquiqui (hihihi, kiki riquiqui, c’est marrant comme sonorité) (bon)
(passons).
Le nu comme idéal de perfection et d'harmonie
Vers
1800, on s’amuse donc encore gentiment avec ce modèle. Mais, comme il ne faut pas déconner non plus, en s’évertuant à cacher le moindre petit bout qui pourrait
dépasser. Cela donne des cache-sexe d’une pudibonderie souvent excessive. Pour
ne pas dire ridicule. Il n’y a qu’à regarder Orphée pleurant sur le tombeaud’Eurydice, de Pierre Narcisse Guérin, ou Ulysse et Télémaque massacrant les prétendants de Pénélope, de Léon Pallière, pour s’en convaincre.
Juan Leon Pallière, Ulysse et Télémaque massacrant les prétendants de Pénélope. Joli cache-sexe n'est-il pas? |
Petite
évolution, ensuite, avec l’Académisme. S’il est toujours question d’idéal
antique, on cesse de jouer les vierges effarouchées. Car ce corps nu, que l’on
représente, n’a rien de sexuel. C’est de l’art. Il ne s’agit pas de montrer une
teub pour le seul plaisir de montrer une teub, ça non. Tout est question de
proportion, d’harmonie du corps, de courbes et de silhouettes. C’est un nu
héroïque. Un passage obligé pour toute formation artistique digne de ce nom. Du
genre : « petit, maîtrise d’abord la représentation du nu et viens me
voir ensuite, on verra si tu es un artiste ».
Pour
preuve, d’ailleurs, et là je m’éloigne de l’exposition, qui n’en parle
absolument pas, les travaux préparatoires d’un David sont dans ce contexte très
parlants. Le brave homme dessinait d’abord tous les personnages de ses futurs
tableaux nus comme des vers, au crayon, avant de les habiller ensuite en
peinture. L’exemple type est dans l’esquisse de son Serment du jeu de paume, à
mettre en parallèle avec le résultat final. Clairement, le nu n’est là que pour
aider à poser les proportions.
Le IIIème Reich et le glissement homoérotique
Eugène Jansson, Epaulé jeté à deux bras II |
Puis
vient ensuite un temps où l’on veut valoriser non plus la perfection du corps,
mais sa force, sa virilité. En un mot, sa puissance. C’est le concept des dieux
du stade. Pas ceux des rugbymen très gay friendly d’aujourd’hui, mais d’abord
ceux, c’est un autre genre, du IIIème Reich. Les œuvres d’Arno Breker en sont
typiques. De même, mais sans le côté IIIème Reich alors, que celles d’Eugène Jansson avec, par exemple, son Epaulé jeté à deux bras II.
Ce
qui conduit tout naturellement à la question de l’homoérotisme, qu’on sent déjà
poindre. C’est patent chez Jean Broc, avec son La mort de Hyacinthe. Un
précurseur ce Jean Broc, car il peint quand même, c’est à signaler, durant la
première moitié du XIXème siècle. C’est encore plus évident chez Jean Delville
qui, en 1898, nous livre une très étonnante Ecole de Platon avec, troisième en
partant de la gauche, une belle petite salope représentée. Et c’est bien sûr
corroboré, plus récemment, par Pierre et Gilles avec leur David et Jonathan par
exemple.
Bref, on pioche dans ce flot sans déplaisir, et chacun, forcément, trouvera son bonheur. Personnellement, les photographies exposées m'ont particulièrement plu. Pas tant celles de Pierre et Gilles, bien qu'intéressantes graphiquement. Mais plutôt celles de Raymond Voinquel, résolument modernes.
Bref, on pioche dans ce flot sans déplaisir, et chacun, forcément, trouvera son bonheur. Personnellement, les photographies exposées m'ont particulièrement plu. Pas tant celles de Pierre et Gilles, bien qu'intéressantes graphiquement. Mais plutôt celles de Raymond Voinquel, résolument modernes.
Cézanne, Les baigneurs. |
Von Hoffmann, Garçons se baignant. |
Koloman Moser, Le Printemps. |
Raymond Voinquel, Hommage à Michel-Ange. |
Herbert List, Dans Berlin en ruines. |
Robert Mapplethorpe, photographie de Denis Speight. Je te tiens par la barbichette... |
Jean Delville, L'Ecole de Platon. |
Pierre et Gilles, Achille. Photographie peinte. |
Pierre et Gilles, Ganymède. |
Pierre et Gilles, Mercure. Photographie peinte. |
Masculin/Masculin: l'homme nu dans l'art de 1800 à nos jours
Musée d'Orsay
Paris
Jusqu'au 2 janvier 2014
1 commentaire:
Tu as utilisé le mot "résolument". En 2013. En 2013 !
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