80 ans d'une vie dédiée à l'art, c'est long. Disons que cela laisse le temps de passer par de multiples étapes, depuis le fauvisme jusqu'au cubisme et ses différentes déclinaisons. Le Grand Palais revient sur la très riche carrière de Georges Braque, mort il y a 50 ans.
Les
avantages, d’abord : du fauvisme de sa jeunesse à son travail sur les
oiseaux au soir de sa vie, en passant par les différentes phases du cubisme qui
ont jalonné son parcours, on sait tout de Braque. Avec, revers de la médaille,
l’impression, parfois, de ne faire que survoler l’ensemble.
C’est
un peu le cas, à mon sens, avec la première salle, réservée à la période fauve
de Braque. Quelques toiles magnifiques, dans le lot, dont son Port de l’Estaque, ou sa Petite baie de La Ciotat. Tellement belles et chatoyantes que
j’avais envie d’en voir davantage. Je dis chatoyantes… Heureusement que LouisVauxcelles fut plus inspiré, à l’époque, quand il trouva un qualificatif pour
ces peintres adeptes des couleurs vives. Il les appela les fauves, et pas les
chatoyants. On l’a échappé belle, et eux aussi.
Des panneaux explicatifs pas au niveau
Le viaduc de l'Estaque. Et Braque inventa le cubisme. |
Qu’importe.
Braque ne s’est pas attardé longtemps au milieu des fauves. Dès 1908, avec son
copain Picasso, il s’engage dans la voie du cubisme. Une forme d’art
complètement nouvelle. Pas si fréquent d’inventer un courant artistique. Rien
que pour cela, Braque est un grand. Cette fois, c’est Matisse, leur maître à
tous, qui trouve le nom. Il visite l’exposition, présentée par Apollinaire, et
s’extasie devant ces « petits cubes ». Principe aussitôt adopté. Le
cubisme est né.
On
en voit, au Grand Palais, les balbutiements, un peu timides, comme avec Le viaduc à l’Estaque. Puis, surtout, les avancées, rapides et spectaculaires, qui
le font de plus en plus avancer vers l’abstraction : patent quand on
regarde Les usines du Rio-Tento, toujours à l’Estaque.
Ce
qui nous amène à voir ce qu’est le cubisme. Surtout, et ça va être sanglant, à
voir comment les commissaires de l’exposition le décrivent. Et ça va être
sanglant parce que c’est une honte de se mettre si peu au niveau de ses
visiteurs. Certes, je comprends la nécessité économique voulant que le meilleur
des explications soit réservé aux audioguides. C’est très humain. Mais, de là à
négliger à ce point les panneaux écrits, ce n’est franchement pas au niveau
d’un si grand musée.
Braque. Les usines du Rio Tento. Toujours à l'Estaque. |
Cubisme analytique et langage hermétique
Sachez,
par exemple, que les compositions de Braque « concilient biomorphisme et
stylisation décorative ». Eh oui ! Ça vous en bouge un coin,
hein ? Plus abstrait encore, voilà ce que l’on nous dit de la toile Naturemorte au violon : apprenez, manants, qu’il s’agit d’une « œuvre
exemplaire du cubisme analytique dont le langage visuel hermétique est fondé
sur la simultanéité. Le motif, éclaté dans une trame schématique de plans
biseautés, se reconnaît à des signes fragmentaires interchangeables. La couleur
posée en frottis et la petite touche pointilliste qui recouvre toute la surface
homogénéisent la composition ».
Prière
de bien vouloir prendre, à la lecture de ce panneau, une posture de
circonstance, bien campé sur ses jambes, bras croisés, pouce et index entourant
négligemment, mais fermement, une bouche
interrogative. Ne surtout pas oublier de froncer légèrement les sourcils. Et
d’osciller la tête, de manière ostensible, en signe d’approbation.
On
peut, aussi, pousser un profond soupir, et laisser échapper un grand
« gnnnn » de désespoir. C’est selon.
Loin
de nous l’idée de s’ériger en donneur de leçon – nous n’en avons ni les
capacités, ni l’envie. Contentons-nous de recracher notre savoir, somme toute
très neuf. Sous l’influence de Cézanne, notamment, Braque et Picasso entendent
sortir des sentiers battus. Pas question, pour eux, de se contenter de
simplement imiter le réel dans leurs toiles. A quoi bon puisque tout le monde,
depuis des siècles, le fait ? D’où leur travail pour éliminer les détails,
simplifier les formes. Et d’où les « petits cubes », donc.
De
déstructurations en déstructurations, ils simplifient et simplifient encore, se
concentrant sur les perspectives, débarrassées de toute velléité de
représentation concrète. De quoi tendre vers l’abstraction, le surréalisme, si
l’on continue ainsi. Braque, lui, s’en va explorer d’autres voies. Soucieux de
ne pas perdre complètement ce contact avec le réel, il s’amuse, avec sa série
des papiers collés, à en réintégrer des éléments dans son œuvre : un bout
de toile cirée par-ci, du papier peint par-là, voire des cartes à jouer. Une
manière de retrouver toute la cohérence d’ensemble : pour construire ma
toile, je me sers du réel, de ce que je vois, mais je ne m’en sens pas
prisonnier.
Braque. Les Oiseaux. |
Les oiseaux du Louvre
Salle
après salle, dans une exposition organisée de manière chronologique, on suit
avec plaisir l’évolution de son art. Après sa période fauve, Braque se lance à
corps perdu dans le cubisme. Un cubisme sans couleur, d’abord. Et pour cause.
« La couleur vient après, se justifie Braque. Il fallait bien créer un
espace avant de le meubler. On s’est aperçu que la couleur agit indépendamment
de la forme. Vous mettez une tâche jaune ici, une autre à l’autre bout de la
toile et aussitôt un rapport s'établit entre elles. La couleur agit comme une
musique si vous voulez. »
Le
cubisme de Braque se colore donc joliment. Comme un contrepoint à la rugosité
apparente. Une façon d’adoucir la toile, de guider l’œil de celui qui regarde,
et qui peut être un peu perdu. Cette couleur, on la retrouve, après-guerre,
dans sa série sur les billards. Puis enfin, au soir de sa vie, dans celle sur les oiseaux. Braque a en effet été choisi pour décorer le plafond d’une salle
du musée du Louvre. Un honneur rare pour un artiste contemporain. Il s’attelle
avec acharnement à cette tâche, multipliant les essais, formes et couleurs,
avant de déterminer le bon modèle.
Des
maisons de l’Estaque aux plafonds du Louvre, Braque a tout fait, tout connu. Il
peut mourir en paix. Cela se passe un 31 août 1963. Braque a 81 ans. Il a droit
à des funérailles nationales, comme tout artiste majeur qui se respecte.
Le port de l'Estaque. Période fauve. |
Petit baie de La Ciotat. |
Maison et arbre. Bienvenue dans le cubisme. |
Guitare et verre. |
Le billard sous le lustre. |
Georges Braque
Grand Palais
Paris
Jusqu'au 6 janvier 2014
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