24 décembre 2012

"Les Bêtes du sud sauvage": trop de perfectionnisme tue la perfection

Ce serait quelque chose entre un Waterworld des bidonvilles et un Moonrise Kingdom triste. Les Bêtes du sud sauvage, drame onirico-social, pour ne pas dire socialo-onirique (qui serait davantage connoté) est un film déroutant. Limite inclassable, tant il épouse de multiples codes. Film catastrophe, un peu, avec la montée des eaux et ses drames, dans le bayou qu'on suppose de Louisiane. Film social, surtout, avec un groupe de déshérités vivant chichement dans des cahutes de fortune, presque comme des bêtes - instinct grégaire inclus - à proximité immédiate de la civilisation, qui se refuse à eux (et inversement). Et puis film initiatique, aussi, avec cette candeur de l'enfance, se coltinant des problèmes d'adulte...
 
Comme un clan de Cro-Magnon aux abois
 
J'ai presque envie de surtout retenir ce dernier point, puisque tout repose sur les épaules, forcément frêles, d'une gamine de six ans. Une fillette au nom imprononçable. Quvenzhané Wallis. Un jeu assez exceptionnel pour son âge. Une présence, un regard... Il se passe quelque chose de fort avec cette petite. On ne va s'emballer - elle est jeune et il est loin d'être certain qu'on la revoie plus tard, mais elle a un don, ça oui !
Dans le film, elle s'appelle Hushpuppy. Elle vit avec son père, quelque part dans le bayou. Une vie à la dure, au milieu des animaux. J'allais dire comme des animaux, mais ce n'est pas loin d'être ça. Six ans seulement, peut-être, mais devant déjà se débrouiller seule ou presque. Ça mange avec les mains. A peine si ça prend le temps de cuire sa nourriture. Tout juste si ça vit en groupe - quelques familles, disséminées çà et là - avec la nature comme seul horizon. C'est bien simple... Si on oublie les tôles ondulées et les carcasses de voitures qui leur servent d'abri, on se prendrait à observer un clan de Cro-Magnon aux abois...
 
Quête infantile et poétique un poil trop gourmande
 
Quvenzhané Wallis. Enfin la pitchoune quoi.
Aux abois car l'eau monte. Une grosse tempête. L'apocalypse. Les terres sont inondées. De l'eau partout. De l'eau salée, qui ronge tout, tue tout. Bientôt plus rien à manger. Il faut bien survivre pourtant. Le groupe s'entraide, mais ce n'est pas facile. La santé du père de Hushpuppy décline. La petite, dégourdie, n'a alors qu'une idée en tête: rejoindre sa mère, mystérieusement partie à sa naissance, lui a-t-on dit. Hushpuppy, depuis quelque temps, voit au loin une drôle de lumière, posée sur l'eau. C'est là que le film prend des accents "Wes Andersonniens"... Quête infantile poétique. La lumière de l'enfance. L'espoir qui scintille, vacille. Sa mère, forcément. Elle part à sa recherche.
En réalité, c'est bien plus compliqué que ça. On a d'ailleurs un peu de mal, au final, à voir où Benh Zeitlin veut nous mener. Et on touche là au coeur du problème avec Les Bêtes du sud sauvage. Le film est un poil trop gourmand, à vouloir explorer trop de pistes. S'il avait été raté, j'aurais parlé de film "fourre-tout", terme péjoratif s'il en est. Comme il est malgré tout réussi, je me contenterai d'évoquer sobrement un film trop propre, trop maîtrisé. Vous avez dit paradoxal? Sans doute, oui, mais que je vous explique...
 
Trop de perfectionnisme tue la perfection
 
C'est le premier long métrage de Benh Zeitlin, tout juste 30 ans, et du talent à revendre. Scénariste, réalisateur et même compositeur de la bande originale - plutôt très bien, elle aussi, on sent le cinéphile, le vrai. Mais il est un peu tendre, encore. Pour devenir un grand - et il en a la capacité, je pense - il doit apprendre à se défaire de son apprentissage scolastique. Il doit patiner son savoir-faire. Lui donner une âme qui lui manque encore. Les Bêtes du sud sauvage est trop "léché" pour être honnête. Trop riche. Jolie mise en scène, jolie lumière. Trop. Il faut savoir parfois salir un peu son oeuvre pour lui donner du corps.
Ce souci de la perfection, qu'on sent dans chacun des plans, nuit à la crédibilité de l'ensemble. C'est censé être l'apocalypse, la fin d'un monde, la souffrance. Ça se doit d'être sale, crade. Cet esthétisme omniprésent empêche de s'identifier vraiment aux personnages. C'est dommage, mais c'est franchement porteur d'espoir pour l'avenir. Benh Zeitlin est un gars à suivre.
 
 
 
Bilan: On peut s'en passer - Moyen - A voir! - Excellent
Note: 12/20

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