16 décembre 2012

"Dali": le Dali poétique et joueur à Beaubourg

J'ai déjà vu des expositions plus didactiques. En même temps, allez essayer de rendre claire et logique la vie de Dali... Le Centre Pompidou s'y essaie - un peu - en cherchant à baliser le parcours avec une petite dizaine de panneaux explicatifs. Autant le dire tout de suite: ils ne servent pas à grand-chose, et mieux vaut, ici, se contenter de déambuler d'un oeuvre à l'autre, au gré de son inspiration.
Ou plutôt, non. Il y a un panneau à lire, un seul, qui permet de comprendre le génie de Dali. Et comme je suis bonne poire, je vous mâche le travail. C'est sur cette histoire de méthode "paranoïaque-critique". Le coeur de l'oeuvre de Dali, donc. Un brin compliqué, de prime abord. Je vous la fais simple. Dali est dingue. Génial, mais dingue. En proie à des délires qu'il s'échine à dompter. C'est ça, justement, l'objectif de la méthode "paranoïaque-critique". Maîtriser ses délires et faire de l'art un jeu. Subtil, parfois déroutant, mais un jeu quand même.

Le déclic sur L'Angélus de Millet

A la base, un certitude, née dans le cerveau, qu'on qualifiera pudiquement de différent, de Dali. Petit garçon, à l'école, il passait tous les jours devant une reproduction de L'Angélus, de Millet. Et il dira plus tard avoir toujours ressenti comme un malaise à ce moment-là. C'est un beau jour de 1932 que la révélation lui vient. Il prétend voir subitement l'envers du décor. Loin d'être la représentation banale d'un couple de paysans priant au crépuscule, L'Angélus cache en réalité une image lubrique. La femme est une mante religieuse s'apprêtant à dévorer le paysan, dont le chapeau cache une érection mal contenue. Et l'on passe sur le bébé qui viendrait d'être enterré à côté de la brouette.
En 1963, Dali, qui sait être convaincant, obtiendra du Louvre une expertise officielle pour conforter ses intuitions. Le panneau explicatif qui relate cet épisode jette ensuite un voile pudique sur les résultats... Il n'empêche. C'est de cette expérience que naît chez Dali cet art du double message qu'il s'amuse à distiller dans ses tableaux. Quelque chose entre "la vérité est ailleurs" et "une image peut en cacher une autre"...

Quand l'art devient un jeu

Débute alors un festival où le jeu consiste à reculer, avancer, se mettre un poil plus à gauche ou plus à droite pour trouver enfin le bon angle de vision qui permettra de repérer les différents degrés de lecture des oeuvres exposées. Jouissif. Jouissif et participatif. Chacun des spectateurs s'amuse devant les toiles, les valides - ceux qui ont repéré l'image cachée - aidant les non valides. L'art devient spectacle, cessant d'être un moment d'introspection, où l'on prend un air pénétré en se gratouillant le menton, pour devenir un amusement. Avec, notamment, ces installations avec jeux de miroirs, assez magiques: quand on s'approche tout près des vitres, l'image apparaît en 3D. Bluffant. Et si, par définition, il m'est impossible de vous en montrer ici le résultat, je me rattrape avec quelques-unes de ses "images cachées":
Apparition d'une figure de Vermeer
dans le visage d'Abraham Lincoln.

Buste de Voltaire.

Espagne.

Le grand paranoïaque.

Velasquez peignant l'infante Marguerite
avec les lumières et les ombres
de sa propre gloire.
Et comme, pour une fois, j'avais fait court, je reprends la parole. Avec cette dernière toile, "Velasquez peignant l'infante Marguerite...", on touche du doigt, aussi, l'immense culture artistique de Dali. Il fait allusion, dans son oeuvre, aux glorieux anciens: Vermeer, Velasquez (l'original de son Infante Marguerite ici), et même Raphaël, avec une très jolie Tête raphaélesque éclatée.
Surtout, alors que l'exposition s'ouvre sur sa voix  - et quelle voix ! - résonnant depuis le plafond, et discourant sur la vie intra-utérine et le concept de paradis perdu, on découvre un Dali plus poétique, peut-être, que celui qu'on a l'habitude de voir avec ses sculptures, compositions et autres Vénus à tiroirs ou Montres molles. Un Dali moins caricatural et provocateur que l'image qu'il s'est construite. Ses toiles de jeunesse sont à ce regard très parlantes, comme cet Autoportrait cubiste de 1923 (il a 19 ans) ou, toute petite, ne payant pas de mine, mais pourtant sublime, cette Charrette fantôme de 1928, qui éclate de mélancolie et de nostalgie. Un Dali délicat, en somme. Donc encore plus touchant et émouvant. 

Charrette fantôme.

Table solaire.

Paysage avec jeune fille sautant à la corde.

Image médiumnique paranoïaque.

Couple aux têtes pleines de nuages.
Dali
Centre Pompidou-Beaubourg
Jusqu'au 25 mars 2013

Aucun commentaire: