Van Gogh appelait ça des
"japonaiseries". Soit l'influence, considérable, de l'art japonais
sur les artistes de la fin du XIXème siècle. Et le brave Vincent, plus qu'un
autre encore, a plongé dedans à corps perdu (j'allais dire oreille, huhu).
Son maître à penser? Hiroshige. Qui ça? C'est
bien là le problème... En France, Hiroshige, personne ne connaît, et c'est donc
tout le mérite de la Pinacothèque que de le faire découvrir via une
confrontation avec son lointain "élève". Enfin, lointain...
géographiquement j'entends, car les deux hommes étaient finalement
contemporains. Quand Hiroshige meurt du choléra en 1858, à 61 ans, le petit
Vincent a déjà 5 ans.
La Pinacothèque présente ainsi une exposition
double : "Hiroshige, l'art du voyage", et "Van Gogh, rêves
de Japon". On regrettera, d'abord, mais pour mieux l'excuser ensuite, que
les deux soient dissociées: difficile, il est vrai, de mêler les conditions de
conservation des estampes du maître japonais, lesquelles exigent une certaine
pénombre, avec la luminosité nécessaire au repérage des coups de pinceaux
énergiques et saccadés du néerlandais.
Hiroshige,
le maître des estampes
Ainsi Hiroshige occupe-t-il le site n°1, place de
la Madeleine, et Van Gogh le n°2, 8, rue Vignon, juste en face. En réalité,
Hiroshige a droit à une rétrospective très complète, tandis que la partie sur
Van Gogh, plus partielle avec seulement une quarantaine d’œuvres, répond elle au
thème de la confrontation des deux arts. Avec, mais j'y reviendrai, le même
schéma reproduit à chaque fois : le tableau de Van Gogh et, à côté, un
panneau avec une reproduction, sur papier et malheureusement en noir et blanc,
d'une estampe d'Hiroshige, censée démontrer les similitudes.
Mais Hiroshige, d’abord. A mon sens, c'est par lui
qu'il faut commencer, pour bien s'imprégner de l'art du maître de l'estampe,
avant de chercher à voir comment il a pu influencer Van Gogh. Malheureusement, comme c'est trop
souvent le cas, le commissaire de l'exposition a visiblement eu du mal à se
mettre dans la peau du visiteur lambda qui, il y a cinq minutes encore,
ignorait jusqu'à l'existence même de ce gentil Hiroshige. Et je ne vous parle
même pas des lacunes en géographie japonaise qui nous éclate tristement à la
gueule... A défaut de prendre en considération que le quidam a déjà du mal à
placer Châteauroux sur une carte (oui, oui, je parle pour moi), le GC (gentil
commissaire) commet donc quelques erreurs de conception dans son parcours. Et c'est dommage.
Et c'est vrai, surtout, que dans le jeu des
lumières, dans la manière des mettre en scène le mouvement des feuilles, des
arbres, de la nature en général, Van Gogh a visiblement puisé aux sources de
Hiroshige, découvert par la grâce de Siegfried Bing, marchand d'art installé à
Paris, spécialisé dans les estampes et gravures japonaises. Clairement, des
compositions d'œuvres sont identiques: la même diagonale, les mêmes courbes. Et
c’est somme toute très touchant de le découvrir.
Traversée de pont sur le fleuve Yoda au crépuscule (en haut.) Bûcherons se réchauffant auprès d'un feu (en bas). |
D’Edo à
Kyoto, trois semaines de voyage
Je passe sur ce joli "Tout le monde en
France est persuadé que l'artiste japonais le plus célèbre est Hokusai"
qui introduit l'expo, et vous fait passablement sentir très con. Car non,
bordel, non, je n'ai jamais entendu parler de ce Hokusai ! Le plus ennuyeux est
ailleurs... On apprend très vite que Hiroshige est célèbre pour avoir réalisé
des estampes représentant les paysages des routes reliant Edo à Kyoto. Jusque
là, très bien. On sait, là aussi très vite, qu'Edo est l'ancien nom de Tokyo,
avant 1868 (même que, sans trop me vanter, je le savais sans avoir besoin de le
lire, moi) (eh ouais !).
Pont traversant le fleuve Kuse. |
De quoi à peu près situer l'endroit, ok. Mais
Kyoto? C'est une ville du Japon, parfait. Mais où? Loin de Tokyo? Près? Les
premiers indices laissés m'ont fait penser que c'était tout près, et que les
paysages de Hiroshige correspondaient à une sorte de promenade que les
Tokyoïtes pouvaient faire à pied le week-end. En réalité, que nenni ! Il y a
quasi 500 bornes entre les deux villes, et il fallait trois bonnes semaines
pour faire le voyage. Seulement, c'est après avoir franchi quelques salles que
l'on a enfin droit à une carte nous permettant de s'en rendre compte.
Je soulève ce problème et m'étale sciemment sur
la question - il faut vraiment se mettre à la place des visiteurs, c'est le
message que je souhaiterais faire passer à tous les commissaires d'expos qui
passeraient par ici - mais ne voudrais pas non plus en faire des tonnes. Car
l'exposition vaut vraiment le coup d'œil. Hiroshige avait un réel talent qui
mérite d'être (re)connu. Ses compositions sont parfaites, avec des angles, des
courbes et des diagonales qui viennent sublimer ses estampes. Une merveille
pour quiconque voudrait prendre une leçon de perspectives et de points de
fuite.
Des 53
étapes du Tokaido aux 69 relais du Kisokaido
La boutique de tissus de la rue Otenma. Série sur les 100 vues d'Edo. |
On peut aussi se rendre compte, de par une
conception chronologique de l'exposition, des progrès réalisés par Hiroshige
dans la maîtrise de son art. Le bonhomme, sans jamais quitter sa bonne ville
d'Edo - le petit canaillou travaillait comme s'il était sur place alors même
qu'il restait tranquillou à la maison et se servait de bouquins de voyages faits
par d'autres pour être à peu près raccord avec la réalité - a commencé par
mettre en estampes les 53 étapes du Tokaido (le chemin, long de 488 km, reliant
Edo à Kyoto par le Sud) vers 1833.
Le succès étant tout de suite au rendez-vous, son
éditeur lui demande dans la foulée de faire de même avec les 69 relais du Kisokaido, c'est-à-dire le chemin du Nord cette fois. On est au tout début des
années 1840, et ces deux voies d’accès sont alors très prisées des Japonais,
les deux villes étant des pôles économiques importants.
Les routes sont tellement empruntées que les
autorités, bonnes poires, ont fait planter tout le long des cerisiers pour que
les voyageurs, militaires et autres marchands principalement, puissent marcher à
l'ombre. C'est-y-pas mignon tout ça... Bientôt, cela devient même Disneyland,
si j'ose dire, avec l'installation de moult restaurants et auberges.
Mais Hiroshige, lui, s'est surtout concentré sur
la représentation des paysages avec des variations sur les saisons : soleil,
neige, pluie, brume. Une autre de ses grandes passions ? Les ponts et les
reflets, divers, variés, mais toujours réjouissants, sur l'eau.
Des
japonaiseries de Van Gogh aux photos de Denis Rouvre
Voilà pour Hiroshige. Je voulais faire court, je vous
le jure... C’est manifestement encore raté. Pour ceux qui restent, un petit
mot sur Van Gogh maintenant. Mais très rapide, juré. J'ai dit l'essentiel,
déjà, plus haut, en décrivant l'organisation de l'espace : un tableau de Van
Gogh et, à côté, un panneau avec une photo d'une estampe de Hiroshige et un
zoom sur un détail pour mettre en lumière les similitudes.
Certaines, autant l'avouer, ne sautent pas
forcément aux yeux. Hiroshige a représenté des arbres, avec des troncs un peu
tordus? Van Gogh aussi, la belle affaire. Hiroshige, un petit vieux avançant
courbé? Van Gogh aussi, en prenant l'option petit vieille. Cela dit, ce sont
les mêmes postures, c'est vrai. Et, dans ses lettres à son frère Theo, Vincent
ne cessait de parler du Japon - ses "japonaiseries" donc, qui le fascinaient
tant.
Van Gogh, Route de campagne en Provence. |
En parlant de choses touchantes, une dernière
chose. Il est absolument nécessaire de bien prendre soin de visiter aussi, avant
de quitter la Pinacothèque, l'espace réservé aux photos de Denis Rouvre, sur"Le Japon du chaos". Toute une série de portraits de Japonais en gros
plan, et de paysages shootés après le tremblement de terre et le tsunami de
2011. Si les portraits m'ont laissé de marbre, les photos de paysages, en noir
et blanc, sont assez fascinantes.
Hiroshige, l'art du voyage et Van Gogh, rêves du Japon
Pinacothèque 1 et 2
28, place de la Madeleine et 8, rue Vignon
75008 Paris
Jusqu'au 17 mars 2013
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