22 mars 2012

"Artemisia": une femme en clair obscur dans la lignée du Caravage

Artemisia Gentileschi était peintre. Une femme peintre. Jusque là, rien que de très banal, finalement. Sauf que, née en 1593, elle exerça son art durant la première moitié du XVIIème siècle, pas franchement connu pour son ouverture d'esprit envers la gent féminine. Une bonne raison, déjà, pour que le musée Maillol s'intéresse à elle. Une autre étant bien sûr son talent, et une dernière sa trajectoire de vie, comme on dit un peu pompeusement. L'agence AP, dans sa critique, a trouvé les trois bons termes pour résumer l'ensemble: "femme, peintre et libre".
J'allais rajouter un peu feignasse, ce qui serait méchant, mais participerait à expliquer pourquoi, sauf exception, le nom d'Artemisia Gentileschi n'évoque plus grand-chose aujourd'hui. C'est peu dire, pourtant, si elle fut encensée de son vivant. Comme tout bon artiste italien de l'époque, elle a ainsi traîné ses guêtres à Rome, Venise, Florence ou Naples, faisant même une courte escale à Londres, passant d'un mécène à un autre. Elle n'en manqua jamais, de mécènes, et vint finalement très bourgeoisement finir sa vie à Naples, y tenant un atelier florissant, avec de nombreux apprentis.
Et c'est là, en réalité, que le bât blesse. Entourée de jeunes peintres, plus ou moins talentueux, elle a tendance à se reposer sur eux, leur confiant les basses oeuvres - qui l'esquisse du paysage, qui celle de la composition de la toile - et se contentant, elle, de venir apposer la touche finale. Si bien qu'il est parfois difficile, aujourd'hui, de faire la part des choses, et de savoir avec précision si tel tableau peut lui être attribué ou non.
Mais on ne va tout de même pas la blâmer d'avoir voulu profiter de la vie, après tout! Et puis, surtout, cela n'enlève rien à son talent, qu'elle avait grand. Il n'y a qu'à regarder ici, ici, ou encore ... Adepte du clair-obscur, dans la lignée du Caravage, dont son père, aussi peintre, était un élève, le moins que l'on puisse dire est qu'elle en maîtrisait en effet la technique. Son seul défaut (je ne m'échine pas tant à lui trouver des défauts qu'à chercher à comprendre pourquoi elle est aujourd'hui si peu reconnue) étant peut-être d'être demeurée, époque oblige, dans des thèmes antiques et Bibliques, qui rendent difficile de la différencier de ses contemporains...
La version du Caravage
Démonstration avec la décapitation d'Holopherne par Judith (pas de panique si vous ne connaissez pas: ça remonte à Nabuchodonosor!): ici, sur la gauche, peint par Le Caravage, vers 1598, là, sur la droite, par Artemesia, une quinzaine d'années plus tard.
Et celle d'Artemisia
Cela dit, si le thème est le même, on le voit, la composition diffère. Il ressort du tableau d'Artemisia quelque chose de plus. Comme ce sang-froid apparent, cette détermination saisissante sur les visages de Judith et sa servante, quand, chez Le Caravage, les traits sont plus tirés, anxieux et concentrés. D'aucuns y voient l'expression de son "drame personnel", joli euphémisme pour qualifier le viol dont elle fut victime, à l'âge de 19 ans, et qui donna lieu à un procès retentissant. Et donc à un scandale public dont, bien que victime, elle eut à souffrir. C'est terrible, d'ailleurs, que 400 ans plus tard, alors qu'on la redécouvre seulement, ce soit justement par ce prisme. Non que les commissaires de l'exposition en fassent des tonnes, bien au contraire - seule une courte mention, sur un panneau, relate l'épisode du viol - mais les différents articles de presse, en revanche... Et moi-même, donc, ici, sous vos yeux ébahis... Mais comment passer sous silence cela alors même que, devant moi, deux visiteurs, devant le tableau, s'exprimaient avec ces mots: "On voit bien qu'elle avait des comptes à régler avec les hommes..."
Vierge allaitant
Et c'est vrai que, dans ses toiles, on tue beaucoup d'hommes (comme avec ce Yael et Sisera). Mais pas que: c'est là le meilleur moment de la visite quand, sur le mur devant son célèbre Judith et Holopherne, sont exposées deux magnifiques "Vierge allaitant". Deux toiles d'une douceur infinie, au contraste tellement fort avec la violence du tableau qui leur faite face. Une belle réussite que d'avoir conçu l'exposition ainsi.
C'est aussi, malheureusement, l'une des seules matières à s'enthousiasmer pour l'exposition, trop chère (11 € sans réduction, plus 5 € pour l'audioguide) et trop courte (compter sur trois quarts d'heure, guère plus). Sans compter sur cette affreuse moquette à l'étage, installée depuis les travaux de rénovation l'année dernière, qui vient dénaturer la beauté d'un musée qui tenait, justement, pour son aspect cosy d'hôtel particulier, avec parquet "d'époque". On comprend bien sûr les nécessités liées aux nombreux passages, mais on ne peut s'empêcher de regretter cette transformation.

Artemisia (1593-1654), pouvoir, gloire et passions d'une femme peintre
Musée Maillol
61, rue de Grenelle, 75007 Paris
Métro Rue du Bac
Jusqu'au 15 juillet 2012

3 commentaires:

laurence a dit…

merci pour cet article fort intéressant avec toujours ce brin d'humour dans ton écriture que j'aime beaucoup et ta grande culture que tu distilles l'air de rien! je vais me coucher moins ignare et je t'en remercie!
amitiés
laurence

Ada a dit…

Je suis entièrement d'accord avec Laurence.

Jean-Noël Caussil a dit…

@Laurence. Ne nous emballons pas, ma culture n'est grande que grâce aux panneaux de l'exposition. Et quelques recherches sur google.

@Ada. Même chose que pour @Laurence.