29 avril 2012

"Tyrannosaur": la rage sociale, made in Britain

Il n'y a que les Anglais pour réussir ce tour de force. Celui de nous faire plonger dans ce qu'il y a de plus glauque pour en faire ressortir ce qu'il y a de plus beau. Un jour, il faudra que quelqu'un se penche sur cette question fondamentale: pourquoi le cinéma Anglais explore-t-il sans cesse la misère et la rage sociale quand, en France, on "excelle" (guillemets de rigueur, on n'a pas tous les jours Les Infidèles ou Radiostars à se mettre sous la dent) dans la comédie? Céline était Français, que diantre! Et la crise est là, chez nous aussi, cornebleu! La faute à Thatcher, peut-être, et son penchant à faire exploser tous les verrous d'une société britannique désormais un peu perdue...
En attendant, c'est de l'autre côté du Channel que cela se passe, avec Tyrannosaur. En Ecosse, dans la grisaille de Glasgow, plus précisément. Avec un Peter Mullan exceptionnel, incarnant Joseph, homme sans âge et en complète perdition. Veuf, solitaire, alcoolique, brutal. Affublé d'un jogging et d'un marcel tout ce qu'il y a de plus seyant. Avec, comme petit accessoire de mode dernier cri, une batte de baseball dont il ne refuse jamais de se servir. Le genre de gars, en somme, qui fait changer de trottoir quand on l'aperçoit. Un pauvre type, celui qu'on méprise et ne plaint pas, car il ne fait rien pour s'en sortir, bien au contraire. L'alcool est son meilleur ami - whisky, Ecosse oblige. La violence, son défouloir.
Ça commence fort, d'ailleurs. Par une scène où il tue son chien, à coups de pied, au sortir d'un bar minable, où il vient de perdre le peu d'argent qu'il y a, dans des paris stupides. Oh! il l'aimait, son chien. C'était même son seul lien avec le monde "normal". Mais que voulez-vous... Joseph était en colère, "et le chien était là, c'est tombé sur lui, il n'a pas eu de chance..."
Antihéros, Joseph? Assurément. Sauf que, sitôt son acte meurtrier commis, Joseph dessaoule. Se rend compte de sa bêtise. Trop tard, certes, mais la brute épaisse montre quelques signes d'humanité. Son chien agonisant dans les bras, il rentre chez lui, une baraque minable avec petit jardinet. Il veille son toutou, le caresse et, au petit matin, quand il s'aperçoit que Médor n'a pas survécu, l'enterre avec une tendresse digne de Mère Teresa sauvant les petits lépreux de Calcutta.
Joseph pleure. Joseph est malheureux. Joseph est con, Joseph est alcoolique, Joseph n'est pas fréquentable, mais Joseph est triste. Donc humain, finalement. A crever de solitude. Sa femme est morte il y a cinq ans. Il n'est, depuis, que l'ombre de lui-même - même si, il ne faut pas se leurrer, il ne concourait déjà pas pour le prix du mari idéal auparavant. Il l'appelait le Tyrannosaure, sa femme. Parce qu'elle était obèse et que, comme dans le film Jurassic Park, le sol tremblait sous ses pas, bien avant qu'on ne la voie. Charmant surnom...
Ok, Joseph est un connard... Les difficultés de la vie ne sont pas une excuse. C'est une boule de haine, dont on se demande quand, et comment, contre qui elle va exploser. Pas contre le petit voisin en tous cas. Le môme de 10 ans à peine est le seul de tout Glasgow à ne pas craindre Joseph. Il lui sourit, lui dit bonjour quand il le croise. Il est bien le seul. Joseph en est ému. On sent que jamais, au grand jamais, la brute ne lèverait la main sur ce si gentil garçon.
Et puis il y a Hannah aussi. Une femme bien mystérieuse, aux bajoues tombantes, lui donnant de faux airs de Droopy, la tristesse des traits encore plus prononcée peut-être. Elle tient une friperie et s'affiche, dans une Glasgow qui semble abandonnée de tous les dieux, comme une fervente croyante. Un portrait de Jésus accroché au mur, la croix autour du cou, et le chapelet jamais loin. Joseph, un jour, roule jusque dans son magasin. Se réfugie derrière les portants, sans dire un mot. Hannah, la première peur passée, se met en quête de chercher à apprivoiser cette bête sauvage étrange qui vient de débouler chez elle. Elle le fait avec toute la naïveté qui la caractérise. En se mettant à genoux et en priant. Joseph, mi-agacé, mi-touché par tant de gentillesse désintéressée, oscille entre la reconnaissance et le mépris. Les deux se succèdent, et Hannah, jouée par une Olivia Colman émouvante de justesse, encaisse. C'est que si elle garde la foi, elle, c'est pour mieux lutter contre ses drames intimes. Derrière sa petite vie tranquille de femme mariée se cache un cauchemar. Son mari la bat et la rabaisse. Hannah est en perdition, elle aussi.
Quand Joseph cherche à s'en dépêtrer par une colère qui explose, à intervalle régulier, Hannah, elle, se met en quatre pour l'intérioriser au maximum. Les deux approches sont vaines. La rage triomphe toujours. Et c'est ensemble qu'ils devront apprendre à la canaliser. Mais qu'on n'aille pas croire à un happy end: ce n'est pas Hollywood ici, c'est Glasgow, et c'est finalement bien mieux.



Bilan: On peut s'en passer - Moyen - A voir! -Excellent - Attention, futur grand classique.
Note: 14/20

2 commentaires:

Ada a dit…

J'ai une grande admiration pour Peter Mullan, surtout pour The Magdalene sisters. Je vais essayer d'aller voir Tyrannosaur, même si j'ai plutôt envie de légèreté en ce moment.
Dernier film vu : L'amour et rien d'autre auquel je mettrais un bon 15, mais c'est peut-être aussi qu'il entre en résonance avec ma conjoncture actuelle...

Jean-Noël Caussil a dit…

Peter Mullan est assez grndiose dans ce film. Je lui filerais bien l'Oscar, moi, si on me demandais mon avis. Mais personne ne me demande jamais mon avis, à moi, pfff...
Pas vu L'amour et rien d'autre. A vrai dire, je ne vois même pas le pitch ni rien du tout. Il m'a échappé, ce film.
Pas grand-chose de léger à se mettre sous la dent en ce moment, je crois. A part les deux films qui, coup sur coup, vont sortir avec Fred Testot (qui me déçoit assez dans ses rôles jusqu'à présent) (pourtant, j'aime beaucoup ce garçon). Et z'ont pas l'air génieux, ces deux films, j'en ai peur.