09 avril 2012

"Le crépuscule des Pharaons": une Egypte sur le déclin mais fière de son passé

Pas facile de passer après Ramsès ou Toutankhâmon. Pas facile de passer pour un peuple en déclin, que l'on imagine occupé à survivre, s'accommoder des envahisseurs - nombreux - ou au mieux tenter de les chasser, plutôt que de gentiment s'adonner à l'art. En Egypte, durant le dernier millénaire avant notre ère, c'était comme qui dirait opération portes ouvertes. Tout le monde, depuis les Libyens jusqu'aux Perses, en passant par les Macédoniens, puis les Romains, est passé dans le pays. L'Egypte, dans l'imaginaire collectif, est alors ce vieux pays poussiéreux où des pyramides, gigantesques, attendent sagement qu'on daigne de nouveau s'intéresser à elles. Aujourd'hui, on parlerait d'une vieille puissance dépassée... Et on dirait, aussi, que toute ressemblance avec des personnes ou des faits actuels, etc.
Femme fatale
Mais si le déclin politique est avéré, l'art, lui, demeurait vivace. C'est en tout cas ce que cherche à démontrer le musée Jacquemart-André, avec son expoxition sur le Crépuscule des Pharaons. Qu'on s'entende, d'abord, sur cette vivacité en question... Si bouillonnement culturel il y a, il reste cependant très largement dans l'imitation des temps héroïques. Si bien, d'ailleurs que, dans le passé, des erreurs de datations ont fait attribuer aux époques antérieures des oeuvres pourtant bien réalisées durant ce dernier millénaire égyptien. C'est dire si on imitait bien.
L'art égyptien, c'est d'abord celui des statues. Et pourquoi donc me direz-vous? Parce que, explique l'exposition, "déposées dans les temples, elles permettent au propriétaire de rester en contact permanent avec le dieu local." Ces statues ont donc un rôle de protection et, le plus souvent, sont du genre sublimées: le gars représenté, ou la fille - surtout la fille - est plutôt jeune, beau, symétrique. En un mot, parfait. A ce propos, je vous la fais courte mais, concernant les canons de beauté féminin, l'Egyptien d'il y a 2000 à 3000 ans ne se différenciait pas des masses de nos goûts actuels: la fille est si possible mince et à gros nichons. Tout juste si, à l'époque, est vaguement encouragé le port du petit ventre. Mais discret, alors, le ventre.
Reste que, comme tout le monde, l'Egyptien antique aimait se montrer taquin, parfois. La mode, sujette à des variations aussi subites que les crues du Nil, se plaisait de temps en temps à promouvoir le réalisme le plus abrupt. C'est ainsi que l'on peut admirer cette tête, dite de Berlin, faite de roche verte: un vieil homme, chauve, ridé, aux bajoues tombantes et aux pattes d'oie apparentes. Une exception, toutefois, dans un statuaire surtout composé de formes idéalisées.
On salue bien bas le dieu Andjty
Car, bien sûr, en Egypte comme ailleurs, ces représentations artistiques avaient des visées politiques. Les statues, hormis celles déposées dans les temples, étaient surtout vouées à être exposées aux yeux de tous. Un peu comme des affiches électorales d'aujourd'hui, en somme. Chacun des conquérants, et ils furent nombreux on l'a dit, prit ainsi le nom de Pharaon et se revendiqua de l'héritage politique et spirituel des dynasties passées: "L'Egypte du dernier millénaire, fière de son passé, mais tournée vers l'avenir", pourrait-on dire...
Bref, chaque gars arrivant au pouvoir prenait bien soin d'avoir sa trombine reproduite à la mode des Pharaons d'antan. Même quand il était un poil trop basané pour être authentiquement égyptien. Alors, quand le hasard veut que l'Egypte regagne son indépendance en foutant dehors les Assyriens, avec la XXVIème dynastie - on est en 664 avant notre ère -, vous pensez si l'on s'en donne à coeur joie pour ce qui est de la reprise des codes esthétiques de l'Ancien et du Moyen-Empire. Et vas-y que j'ai ma barbichette pointue, vas-y que je me tiens droit et fier, marchant devant mes ennemis...
Le sarcophage d'Ankhemmaât
Evidemment, on n'en oublie pas l'essentiel, non plus. C'est-à-dire la vie après la mort. On adore bien gentiment ses dieux, à commencer par Amon, le roi des dieux (on a là sous les yeux, accessoirement, la plus grande statuette en or massif retrouvée en Egypte - 17,5 cm de haut, quand même) ou Bastet, la déesse chatte. On pratique aussi, comme la tradition l'exige, le culte des morts. Tout juste si l'on remarque que la période est difficile par le fait que les tombes, au fur et à mesure des années, se font plus petites, réduites aux pièces essentielles à la survie posthume.
Et, en réalité, c'est un sacré bordel que de passer de vie à trépas. Il faut momifier le corps, déjà. Ce qui suppose de bien vider les viscères, que l'on place ensuite dans des vases canopes, entreposés aux côtés du sarcophage. On n'oublie pas, aussi, de bien disposer autour de nombreux ouchebtis -bleus, et généralement au nombre de 365, soit un par jour: des serviteurs funéraires censés accompagner et aider le mort dans son long voyage. Ni les amulettes, non plus, surtout pas! Celles-ci sont là pour protéger le mort. La plus importante est celle du "scarabée de coeur", que l'on place sur la poitrine du défunt, à la place du muscle cardiaque. Peu ragoûtant, le scarabée? Peut-être, mais surtout éminemment symbolique, puisque c'est l'image du soleil du matin. Et donc de la "résurrection" attendue.
Voilà pour le boulot des morts. Mais les vivants, aussi, doivent bosser pour leurs parents disparus. Et ce n'est pas non plus une sinécure. C'est que ça mange, un mort! Si, si... L'élément central de toute bonne tombe qui se respecte est une table d'offrande, dont le décor représente les denrées espérées par le défunt. L'eau qui s'écoule sur ces dessins, versée par un prêtre ou la famille, se charge magiquement des vertus nutritives des éléments en question. Le mort peut se nourrir. Et nous, plus de 2000 ans plus tard, pouvons nous coucher moins cons.

Le crépuscule des Pharaons
Musée Jacquemart-André
158, boulevard Haussmann, 75008 Paris
Jusqu'au 23 juillet 2012

2 commentaires:

Ada a dit…

En Asie ils ont l'autel des ancêtres pour les offrandes. Je songe à en faire un chez moi.
Je ne connaissais pas les mœurs du scarabée mais j'aime le symbole et c'est le surnom que je donne à quelqu'un qui m'est très cher

Jean-Noël Caussil a dit…

J'ai bien aimé, moi aussi, je principe de la table d'offrande.