07 avril 2012

"Helmut Newton": le porno chic et choc

D'abord, un mur de photos. Et même plutôt quatre. Une salle, petite, remplie de clichés. De toutes dimensions et de tous thèmes. Des photos de mode, prises par Helmut Newton, pour les magazines Elle, Vogue ou Nova, à partir des années 1960. Il y en a tellement qu'on ne sait où poser le regard. On craint le trop-plein, redoute que ce fouillis un peu perturbant ne perdure. C'est que, avec plus de 200 photos exposées au Grand Palais, dans une galerie pas si grande que cela, il y aurait de quoi se perdre. Une ode à la femme, certes, mais sans mise en perspective. Prière de se débrouiller tout seul...
Heureusement, les salles suivantes sont mieux structurées. Plus à même de faire comprendre Helmut Newton, son "fonctionnement", et ce qui l'obsédait. Si les photos de mode ont fait sa fortune, elles étaient en réalité surtout "alimentaires". Donc peu intéressantes, comparées aux autres séries. Celles des nus, posés ou mis en scène, sont bien sûr les plus artistiques. C'est là que le grain d'Helmut s'exprime le mieux - le grain de folie, s'entend: sa recherche d'érotisme, de violence - disons plutôt de crudité - plus que de sensualité. "Je suis un voyeur professionnel, racontait-il (les panneaux de l'exposition sont écrits à la première personne). Je suis très attiré par le mauvais goût. Les mouvements sado-maso, par exemple, me paraissent toujours intéressants. J'ai en permanence dans le coffre de ma voiture des chaînes et des menottes. Non pas pour moi, pour mes photos."
Sur certains clichés, même si c'est en studio, même si c'est posé, on se croirait dans une maison-close, pour un reportage. L'image a beau être fixe, figée, on y ressent la frénésie des corps. Comme si on y était, comme si cela se déroulait en direct, devant nous. Comme avec cette femme qui chevauche un homme. Les quatre mains crispées des protagonistes, la tête en arrière, la bouche ouverte et les yeux extatiques de la jeune fille... Tout concourt à faire de cette photo une bombe sexuelle. Avec nous, dans le rôle du voyeur. Même chose avec cet homme, habillé en costume, assis sur le bord d'un lit, un peu engoncé à regarder bêtement une jolie femme nue, debout devant luiCaliente, caliente...
De loin, cette partie de l'exposition est la meilleure. Dommage qu'elle se retrouve noyée dans un ensemble plus disparate. Dommage, aussi, qu'elle ne soit que parcellaire: l'oeuvre de Newton regorge de telles scènes, il n'y a qu'à faire un tour du côté de Google Images pour s'en convaincre. Et dommage, enfin, que l'exposition ne s'attarde pas davantage sur la formation du jeune Helmut. Certes, on apprend que c'est "à douze ans, en 1932, avec son argent de poche, qu'il achète son premier appareil photo, un Box Tengor Agfa" (wouaaah, génial!!), mais on ignore tout de ses motivations intimes. Pour les toucher du doigt, il faut fouiller un peu les archives de presse: dans cet article du Figaro, en l'occurrence, on lit ces quelques lignes, que l'on regrette de n'avoir pas vues à l'exposition: "Dans son Autoportrait, écrit en 2002, Helmut Newton décortique ses souvenirs d'enfant de façon tout à fait freudienne: « C'était la nuit, c'était toujours la nuit (…). Ma nounou, ma Kinderfräulein, se préparait à sortir, elle était à moitié nue. Assise en combinaison, elle se contemplait dans le miroir de ma chambre. » À l'âge de 7 ans, il rencontre par l'intermédiaire de son frère aîné Erna la Rouge, prostituée célèbre aux cheveux roux, aux cuissardes rouges et à la cravache de dominatrice. Les psys appellent ça « les scènes primitives de la construction de l'imaginaire ». En photographie, cela s'appelle une source, un contexte et une narration."
Avec ce genre d'informations en tête, bien sûr, tout s'éclaire. A commencer par cette fascination du nu féminin, qui s'exprime avec force dans la série des "Big Nudes", commencée en 1980, et poursuivie treize années durant. Vingt-et-une photographies au total (toutes ne sont pas au Grand Palais), toutes plus fascinantes les unes que les autres. Des "ovnis", si l'on peut dire: des portraits en pied, plus grands que nature (jusqu'à 2m20 de haut!), en noir et blanc, sur fond sobre, où les femmes apparaissent successivement habillées, puis nues, dans des postures statiques, un peu froides, mais terriblement sexuées et sexuelles, pourtant. La légende veut que, pour cette série, Helmut Newton se soit inspiré des photos anthropométriques faites des prisonniers.
Catherine Deneuve
Plus classique, enfin, l'exposition s'achève sur les nombreux portraits de "stars" faits par Newton. Un peu dans le genre fourre-tout, il faut avouer, cette dernière partie, même si on y admire le talent de Newton: Jack Maple (c'était un policier, je ne connaissais pas, mais la photo est extraordinaire) y côtoie Jean-Marie Le Pen, avec ses deux labradors, et Deneuve, sublime clope au becThatcher, Liz Taylor, ou Charlotte Rampling. Toute une époque, révolue, qui défile sous nos yeux.
Charlotte Rampling, 1973.







Helmut Newton
Grand Palais, galerie sud-est
Jusqu'au 17 juin 2012

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