28 mars 2012

"Degas et le nu": une vie de travail mise à nu

Une exposition au musée d'Orsay est rarement décevante. Celle consacrée à Degas jusqu'au 1er juillet 2012 place la barre très haut, car on arrive à toucher du doigt deux des plus grands mystères de la création artistique... A savoir la formation du peintre, ses méthodes de travail et, surtout, son évolution picturale. Mieux, même: en se concentrant sur le thème des "nus", l'exposition parvient à faire découvrir Degas autrement que par ses célèbres danseuses, peintes ou sculptées. Et l'absence des oeuvres phare par lesquelles on le connaît, loin d'être frustrante, comme cela peut-être souvent le cas en de pareilles circonstances, passe en réalité complètement inaperçue.
De bout en bout - et on peut assez vite y rester deux bonnes heures - la logique est implacable, les enchaînements de salles pleinement naturels, avec un parti pris chronologique. On entre avec un autoportait de Degas, pas encore trentenaire, et puis plonge tout de suite dans le vif du sujet. Le nu, d'abord académique: des dessins, au fusain ou à la sanguine, et même son carnet qui ne le quittait jamais, ouvert à une page où l'on voit encore les quadrillages qui l'aidaient à trouver les bonnes proportions du corps. L'homme a fait le tour des musées parisiens et italiens, et n'en a pas manqué une miette. Le Louvre n'a pas de secret pour lui, il fréquente l'Ecole des Beaux-Arts, copie, recopie, et dessine encore.
Petites filles spartiates provoquant des garçons
Il s'essaie ensuite aux toiles. Comme ce "Petites filles spartiates provoquant des garçons", peint vers 1860, ou "Scène de guerre au Moyen-Age", vers 1865. Des conceptions classiques, encore, que l'on ne s'attend pas à trouver chez Degas. Mais ses traits si caractéristiques, qui s'exprimeront plus tard, ne viennent bien sûr pas de nulle part. Ils tirent leur origine des glorieux anciens, qui ont guidé le jeune Degas. Ils viennent, surtout, et c'est le tout premier intérêt de l'exposition que de le montrer au grand jour, d'un immense labeur. Car si talent il y a - et c'est évidemment indéniable - c'est aussi affaire de travail acharné. Chacune de ces toiles est accompagnée de certains des dessins préparatoires - "Degas en faisait au moins trois pour chaque figure", indique l'un des pannneaux de l'exposition: ce qui forme un tout cohérent sur la toile a auparavant été étudié, ausculté et testé sur dessins, personnage par personnage. Jusqu'à trouver la bonne courbe, le bon galbe.
Scène de guerre au Moyen-Age
Mieux encore, et c'est le deuxième grand intérêt de l'exposition, on repère déjà, sur ces toiles de jeunesse, quelques silhouettes que l'on retrouvera dix, vingt, ou trente ans plus tard. Cette femme nue, de dos, montant dans un char, dessin préparatoire à "Scène de guerre au Moyen-Age", n'a peut-être pas été retenue dans le tableau final, mais elle servira plus tard comme modèle à cette femme, sortant de sa baignoire. Où tout l'art de Degas résumé, consistant à transposer des sujets classiques dans des contextes contemporains... Même jeu avec, cette fois bel et bien dans le tableau "Scène de guerre", cette femme courbée en deux, s'éloignant des cavaliers, sur le côté gauche de la toile. Cette manière de se tenir la tête... Transposée dans un tout autre contexte, la représentation parfaite d'une femme se coiffant ou se séchant les cheveux. On voit cela, et on s'incline devant le talent...
C'est dire si c'est ensuite d'un pas léger que l'on chemine vers les autres salles. Degas prend de l'assurance. Il s'éloigne de ses aînés pour développer son propre savoir-faire. On quitte le nu classique pour pénétrer maintenant dans les maisons-closes. Avec ces prostituées qui nous tendent les bras (et les fesses aussi, les fesses surtout), par la grâce d'un cadrage particulier, un bout de porte au premier plan, par exemple, suggérant qu'elles sont surprises dans des postures intimes, Degas parvient à dégager une sensualité assez folle. Un peu comme si, depuis sa fenêtre, on voyait passer et repasser, dans l'appartement en face, une femme nue. Peu importe qu'elle soit belle ou laide, jeune ou vieille... Le seul fait d'avoir le sentiment d'assister à quelque chose que l'on n'aurait pas dû voir suffit à se sentir émoustiller.
Enfin, "émoustiller"... Voilà peut-être un bien grand mot pour évoquer ce qui est quand même assez loin du porno du samedi soir de Canal (le premier samedi du mois est-il au moins encore réservé au porno sur Canal???)... Mais assurément pas quand il s'agit de résumer mon sentiment après la visite de cette exposition. Car si je ne développe pas plus (je suis déjà trop long, je sais), sachez juste qu'après ces prostituées, l'art de Degas évolue pour le porter vers des danseuses, puis des baigneuses. Un autre style de nu, encore, d'autres techniques, sans cesse plus poussées: des monotypes, du fusain sur calque... Des couleurs audacieuses, des traits plus expressifs. Autant de signes annonciateurs, et accompagnateurs, d'une révolution pictutrale en marche: Matisse, Picasso ne sont pas loin.

Degas et le nu
Musée d'Orsay
62, rue de Lille, 75007 Paris
Jusqu'au 1er juillet 2012

4 commentaires:

Ada a dit…

Degas, connais pas, à part les reproductions en quadrichromie qui décoraient la salle où je faisais de la danse classique.

Sinon deux remarques un peu hors sujet du coup :
- je ne crois pas qu'il puisse y avoir du talent sans travail (ou du moins je préfèrerais, autant croire en dieu alors)
- du temps pas si lointain où je donnais un biberon à ma fille le soir je voyais la jeune et jolie voisine d'en face déambuler parfaitement nue au sortir de sa douche, c'était beau et je me disais que tout l'immeuble devait être au spectacle

Jean-Noël Caussil a dit…

Tu as raison sur cette histoire de talent et de travail. Je ne cesse pourtant de le relever quand une expo, un film, n'importe quoi, revient sur cette question. Sans doute parce que, dans un temps pas si lointain, j'ai cru le contraire (que le talent se suffisait à lui-même). J'étais jeune, hein, bien sûr. Je te ferai lire le manuscrit que j'avais alors eu l'outrecuidance d'envoyer aux éditeurs. Ahahaha, j'en ris encore tellement c'était mauvais.

Ada a dit…

Je suis très curieuse de lire ce manuscrit

Jean-Noël Caussil a dit…

Il est caché dans un tiroir, chez moi. Si jamais ça te dit (mais je crois que tu es occupée avec un certain Titus ces temps-ci) (hihi)