29 mars 2012

"Matisse: paires et séries": où comment jouer au jeu des sept erreurs à Beaubourg

C'est difficile à dire, mais je suis un peu resté sur ma faim avec cette exposition Matisse, à Beaubourg. Non que je n'aime pas Matisse, loin de là... Non qu'il n'y ait pas d'oeuvres jolies - "jolies" étant un terme bien fade pour qualifier les quelques toiles légendaires se trouvant présentées...
C'est plutôt que c'est court - une soixantaine de tableaux et quarante dessins ou photos, pas plus. A se demander, même, si l'on n'attend pas davantage dans la très longue file d'attente qui précède l'entrée, que l'on ne passe de temps à déambuler auprès des tableaux, ensuite... C'est aussi que la logique du parcours ne m'a pas complètement convaincu... La notion de "paires" et de "séries", sur laquelle l'exposition est conçue, est trop lâche pour maintenir une cohérence globale.
L'angle général est tenu, là n'est pas le problème: on a bien affaire à des "variations sur un même thème, ou un même motif." Mais, en réalité, ces variations ont deux origines, toutes intéressantes, certes, mais bien distinctes. Elles sont, dans les premières salles, le résultat d'un "jeu" de l'artiste. Elles sont, dans les suivantes, celui d'un travail préparatoire à l'élaboration des oeuvres.

Toi aussi, joue au jeu des sept erreurs avec Matisse
Mais le "jeu", d'abord. Matisse, à partir d'une même scène, s'amusait à laisser libre-cours à "son émotion du moment", en la peignant plusieurs fois de suite. A la clé, des sujets identiques, mais "des approches stylistiques et esthétiques antinomiques." C'est particulièrement frappant avec sa série sur le Pont Saint-Michel. Du plus pur réalisme à l'abstraction la plus aboutie: la palette (sans mauvais jeu de mot) (en fait si...) s'avère large. On se surprend à aller d'une toile à l'autre, et à jouer au jeu des sept erreurs. Là, la vague dans la Seine a disparu... Ici, l'arche du pont est légèrement différente...
Les deux toiles ayant pour cadre Trivaux (son bois et son étang) sont à cet égard plus impressionnantes encore. Il est fascinant de voir comment cette forêt, si douce, si naturelle dans un premier cas, devient ensuite si torturée, par la grâce de courbes nouvelles, stylisées, avec des diagonales plus marquées, qui viennent modifier la perception du tableau. Ce qui était calme et serein prend soudain une tournure angoissée.
Tête blanche et rose
Liseuse sur fond noir

Mais voilà qu'après cette première partie, sur ce que je qualifie de "jeu", l'exposition, sans transition, nous conduit vers tout autre chose. On quitte les oeuvres achevées pour plonger dans l'antre du peintre: son atelier, sa manière de préparer ses toiles. Il n'est plus question de "paires", mais de "séries", dans le sens de séries préparatoires, et la nuance est d'importance. Je me répète, mais le passage de l'un à l'autre est assez décontenançant. Ce qui ne veut pas dire que cela soit sans intérêt...
On apprend beaucoup sur l'organisation de Matisse, dans son travail. Comme avec cette dizaine de dessins au fusain regroupée sous le nom de "variations nu, série f": une même femme, dans la même posture, dessinée successivement par un Matisse que l'on devine s'exerçant, et cherchant le bon angle, la bonne courbe. On découvre aussi les photos de ses oeuvres, qu'il faisait régulièrement, pour en figer les états d'avancées successifs. "À chaque étape, j'ai une conclusion, un équilibre, écrit-il. À la séance suivante, si je trouve qu'il y a une faiblesse dans mon ensemble, je me réintroduis dans mon tableau par cette faiblesse, je rentre par cette brèche, et je reconçois le tout."
Nature morte au magnolia
De quoi mieux cerner le processus créatif de Matisse. Mais voilà qu'ayant à peine pris position dans le cerveau de l'artiste, on change encore de point de vue pour passer à la troisième et dernière phase de l'exposition. Retour à des toiles achevées, et pas des moindres - celles des dernières années de la vie du peintre. Sauf qu'encore une fois, la transition est brutale. Si bien que cette série des "Nu Bleu", qui vient fermer le parcours, tombe quasi comme un cheveu sur la soupe. Et perd donc (un peu) de son sel. C'est dommage de ne pas s'être "contenté" d'une bête et méchante rétrospective classique. Le talent de Matisse est suffisamment grand et reconnu pour n'avoir pas besoin de soins cosmétiques pour attirer la foule. Comme quoi, à trop vouloir faire original, parfois... L'exposition reste toutefois évidemment à voir, cela va sans dire.

Matisse, paires et séries
Centre Pompidou, Paris
Jusqu'au 18 juin 2012

4 commentaires:

Ada a dit…

Tu crois que c'est jouable avec un très jeune enfant ?

Jean-Noël Caussil a dit…

J'ai envie de dire oui. Puisque c'est court, elle doit pouvoir tenir le coup sans se mettre à hurler. Et puis c'est spacieux, tu peux bouger avec un enfant sous le bras (ou dans les bras, comme tu le sens).

Ada a dit…

Plutôt en poussette en fait

Jean-Noël Caussil a dit…

C'est très faisable avec une poussette, ça oui alors.