01 avril 2012

"La Terre outragée": des destins cramés par Tchernobyl

La Terre outragée a la rugosité d'un documentaire. C'est-à-dire que c'est lent, et finalement pas très cinématographique. Ce qui ne veut pas dire que cela soit sans charme, tant c'est en réalité adapté à la situation: dix ans après Tchernobyl, on suit les destins brisés de deux pauvres Ukrainiens, quelque part entre Pripiat et Slavouvitch. La première cité, à trois kilomètres de la centrale, n'est plus qu'une ville fantôme, vidée de ses 50.000 habitants à la va-vite. La seconde est une ville nouvelle, construite après l'accident, à une quarantaine de kilomètres. On y a entassé les rescapés, faute de mieux. Et ceux-là, traumatisés, n'arrivent pas à se sortir de leur cauchemar, ressassant leur paradis perdu.
De Tchernobyl, on ne voit rien. A peine quelques volutes de fumée, au loin, et la silhouette du réacteur numéro 4. Rien de l'explosion. La Terre outragée est tout sauf un film catastrophe, avec pompiers héroïques et morts dramatiques. C'est un film sur l'abandon, sur cette grande question venant hanter les survivants d'un drame: pourquoi sont-ils toujours là, eux, tandis que tant d'autres ont disparu? C'est dire si cette lenteur évoquée a finalement sa légitimité: Anya et Valery, les deux principaux protagonistes du film, sont deux morts-vivants, deux fantômes ne sachant trop que faire de cette vie qui leur reste.
Le film débute le 25 avril 1986, soit la veille de la catastrophe. Pripiat est une ville heureuse. Le printemps s'annonce, la grande fête du 1er mai aussi, avec l'inauguration d'un grand parc d'attraction tant attendue. C'est un grand jour pour Anya, 27 ans: celui de son mariage avec Piotr. C'en est un autre pour Alexei, ingénieur à la centrale, et son fils Valery, 6 ans: père et fils passent du bon temps ensemble, à flemmarder au bord de la rivière. Le petit est tout excité car il vient de planter un pommier - son pommier, qui le suivra toute sa vie.
Puis vient la catastrophe. Suggérée, donc, et pas montrée... Ce sont des feuilles, subitement rougies sur les arbres. Des poissons, ventre à l'air dans la rivière. Des résidus noirâtres, qui tombent avec la pluie qui s'invite, subitement. Le drame est joué, déjà, mais les hommes n'en savent rien. Piotr, en pleine fête de son mariage, est appelé à aller combattre un incendie, dont il ignore tout. Il quitte Anya, assure que tout ira bien, évidemment, mais ne reviendra jamais. Alexei, lui, de par sa fonction d'ingénieur, a la chance d'être prévenu rapidement. La chance, si l'on veut, car s'il comprend la gravité de la situation, il ne peut rien en dire. Pas question d'alarmer la population pour une broutille... Pourtant, compteur Geiger en main, Alexei voit bien que c'est grave. Il fait évacuer sa femme et son fils, mais ne peut sauver les autres. En ville, dans la matinée, il arpente, catastrophé, les étals de boucherie: ça crépite sous son manteau, la viande est contaminée. Elle est vendue, pourtant, et sera consommée, comme si de rien n'était. Il erre dans les rues, ensuite, s'échinant à distribuer des parapluies à tous ceux qu'il croise: protection pathétique et dérisoire contre la pluie radioactive qui s'abat sur la ville. Le pauvre homme perd pied...
Fin du premier acte. Dix ans ont passé. Pripiat, vidée de ses habitants, fait figure de Pompéi moderne. On la visite, par bus entiers, via de lucratifs "Tchernobyl Tour". Il faut dire que c'est beau, une ville déserte, figée dans le temps. Avec cette grande roue, qui n'a jamais servi, cette statue de Lénine, toujours là... Cette vie qui s'est arrêtée, du jour au lendemain, et dont on imagine qu'elle ne demanderait qu'à reprendre: les routes sont praticables, encore, les bâtiments debout. On fermant les yeux, on pourrait entendre les voitures, les rires des habitants. Sauf qu'en ouvrant grand ses oreilles, c'est le silence que l'on entend; un silence de mort. La terre est radioactive, et le demeurera des siècles encore...
Pour des touristes de passage, une expérience assurément grandiose. Pour Anya, devenue guide, une souffrance sans cesse ravivée. La jeune femme, jour après jour, répète inlassablement les mêmes mots, répond aux mêmes questions, et ce qui est abstrait pour tous les visiteurs prend chez elle une tournure très concrète. Vous vous souvenez du drame de Bill Murray, dans un Jour sans fin, avec sa sinistre "Journée de la marmotte"? Eh bien, pour Anya, c'est mille fois pire, car cette ville fantôme, c'est son cimetière, bientôt son tombeau. A peine mariée depuis deux heures, en 1986, elle y a perdu son mari, n'a jamais refait sa vie. Courtisée, ça oui, mais incapable de quitter Pripiat, sa vie, son passé qui, pourtant, la détruit à petits feux.
Même destin cramé par les radiations pour Valery, 16 ans désormais, qui vit avec sa mère. Adolescent torturé, il ne s'est jamais remis de la disparition de son père, qui n'a plus donné signe de vie depuis l'évacuation. Sa mère lui assure qu'il est mort, mais lui n'y croit pas. A l'occasion d'une cérémonie en l'honneur des disparus, à Pripiat même, il échappe à la surveillance de sa mère pour retourner dans leur ancien appartement. Sur les murs encore intacts, il écrit à l'intention de son père qu'il vit à Slavouvitch, et qu'il l'attend toujours. Puis il retrouve son lit d'enfant, les peluches encore posées dessus, et se réfugie dedans. Comme si l'on pouvait revenir en arrière... Bien sûr que non. La police le rattrape, et il lui faut revenir dans sa nouvelle vie, où ses camarades - les enfants sont formidables - le traitent régulièrement de "Tchernobylien".
Emouvant et touchant, ça oui. Sauf que, décliné sur 1h48, et sans trouvaille scénaristique digne de ce nom, ni même guère d'originalité dans la mise en scène, La Terre outragée se révèle décevant. On se surprend à vouloir appuyer sur "avance rapide", pour mettre un peu de dynamisme dans le mouvement de caméra, la narration. On voudrait booster la voix off, aussi, pour qu'elle varie ses intonations, et rompe enfin avec ce ton monocorde, usant sur la longueur. Une voix off qui, à ce propos, s'exprime en français: la réalisatrice Michale Boganim aime visiblement notre beau pays, mais pas forcément dans ce qu'il a de meilleur, si l'on en juge par la présence de "Voyage, Voyage" dans la bande originale.. Oui, oui, Desireless, absolument. Une star en Ukraine, paraît-il.

Bilan: On peut s'en passer - Moyen - A voir! -Excellent - Attention, futur grand classique.
Note: 09/20

Et pour compléter le film, cette petite vidéo de 10 minutes, issue d'un reportage de Planète, sur Pripiat, ville fantôme.

1 commentaire:

Ada a dit…

Attends, ça déchire Voyage Voyage !
Il paraît que le silence, de mort c'est le cas de le dire, est une des choses les plus impressionnantes avec ce genre de catastrophe. Cf Fukushima