Portrait officiel de Gorbatchev en 1985 (sans tache) |
Un double regret, d'emblée, aux deux extrémités de l'exposition. Qui ne connaît pas un minimum le contexte soviétique conduisant à cette Perestroïka enclenchée à partir de 1985, ne comprendra pas grand-chose aux événements qui s'enchaînent. Un petit mot, rapide, sur la situation économique (aux abois) et politique (idem), n'aurait pas été superflu. De même, difficile, pour un Occidental, de comprendre comment un Boris Eltsine, avec son image de soiffard, a pu succéder à Gorbi, et l'exposition passe à vitesse supersonique sur la Révolution de 1991 et ses prémices. A titre d'exemple, rien sur la chute du Mur de Berlin, en 1989, ou celle de Ceaucescu dans la foulée, en Roumanie. A moins que je me trompe, ce qui est toujours possible (si, si), c'est pourtant très mêlé, non?
Qu'importe. L'exposition est pour le reste bien pensée et structurée. Peut-être trop, d'ailleurs, car ses panneaux explicatifs, dotés de petits numéros (14, au total) pour guider les visiteurs, prennent parfois des allures un poil trop scolaires à mon goût. Mais il fallait bien, cela dit, traduire le russe des affiches. Affiches qui constituent, très largement, l'intérêt principal de la visite, tant les soviétiques ont poussé loin l'art de la propagande via ce média. Quel étonnement, toujours, que de voir à quel point tout cela apparaît aujourd'hui vieillot, à l'heure d'Internet.
La salle de la BDIC s'ouvre sur un immanquable portrait officiel de Gorbatchev tout jeune secrétaire général du comité central du PCUS. A comparer, pour comprendre le choc culturel qui va suivre, avec une autre photo représentant le vieux Brejnev, avec bobonne au bras, à côté de laquelle Germaine Coty aurait fait figure de hipster bobo cool. Avec cela, on a tout compris. Gorbatchev engage la société soviétique dans un mouvement d'ouverture qu'elle n'est pas prête à assumer. La vieille génération, éduquée au culte de la perfection soviétique, ne peut comprendre ce revirement soudain, qui veut faire oublier le marteau de l'ouvrier pour le remplacer par l'ordinateur; qui délaisse le soc et la charrue du paysan, pour leur préférer la nouvelle classe, "capitaliste", des petits commerçants. La religion, combattue hier, est de nouveau tolérée. La sexualité, tabou absolu, s'expose en plein jour. "Si bien que l'on trouve, dans les magasins, des Bibles vendues aux côtés de magazines pornographiques."
Un souffle de liberté qui décoiffe, donc. Les dirigeants, systématiquement, prennent le contrepied de l'ancien discours officiel. Une manière de se tirer une balle dans le pied. C'est avouer l'incompétence du système. Avouer avoir menti dans le passé. Pas idéal, on s'en doute, pour emporter l'adhésion désormais, tandis que le peuple, lui, a mille fois l'occasion d'y perdre son cyrillique.
Pire encore: le virage économique à 180° fait naître une nouvelle élite, et pas forcément la meilleure. Ces "nouveaux riches" à la fortune si rapide, amassée suivant des méthodes que l'on qualifiera pudiquement de "particulières" (spéculations, pots de vin, détournements de fonds) attisent la haine et le ressentiment. Ca grogne dans les campagnes, dans les usines. De grandes grèves éclatent en 1989 chez les mineurs, autrefois gardiens de la Révolution, et aujourd'hui tenus pour quantité négligeable. Elles s'étendent ensuite partout ailleurs, sapant ce qui reste des bases d'un régime politique dépassé.
C'est la fin. L'URSS, coquille vide, éclate. C'est là que ça devient intéressant, et c'est là, malheureusement, que l'exposition pèche, passant beaucoup trop vite sur ces derniers enchaînements qui conduisent, en août 1991, à un premier putsch (pourquoi? comment? fomenté par qui? L'exposition n'en dit strictement rien), avant de voir l'URSS purement et simplement dissoute quatre mois plus tard, en décembre. Et Gorbatchev finalement terrassé par un "monstre" qu'il a lui-même contribué à créer. A voir, d'ailleurs, à ce propos, une émouvante déclaration vidéo, tournée dans la nuit du 19 au 20 août 1991, entre 1h40 et 1h45, dans laquelle l'héritier de Staline au poste suprême, celui qui, d'un doigt pressant le bouton atomique pouvait faire sauter la planète entière, se retrouve, pathétique, à avouer son impuissance, prisonnier qu'il est de sa datcha de Crimée, encerclée par l'armée qui l'a lâché. "Le président légitime est empêché de tenir ses fonctions" dit-il d'une voix blanche. Eltsine est dans l'ombre, à manoeuvrer pour lui succéder. Les oligarques sont à l'affût. Vingt ans plus tard, l'URSS, devenue Russie, n'en est toujours pas sortie.
URSS: fin de parti(e). Les années Perestroïka, 1985-1991
BDIC, Invalides
129, rue de Grenelle, 75007 Paris
Jusqu'au 4 mars 2012
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